Encore une fois… Comme par le passé, l’aventure renaît en moi. Elle grandit toujours plus vite et plus forte que je ne l’envisageais. Encore une fois, le défi m’habite et me pousse au loin. Très jeune je regardais la colline en me demandant jusqu’où porterait mon regard si j’étais sur son sommet. J’ai grandi, la colline aussi.

Je croyais que l’expérience m‘éviterait le serrement de gorge que provoquent les derniers préparatifs. J’étais assuré cette fois-ci, d’un climat un peu plus détendu et calme pour préparer mon sac à dos. Persuadé de bien dormir, de prendre le temps d’arroser mes plantes avant le départ, d’offrir à ma mère ma salade et mon litre de lait avant de fermer le réfrigérateur. Il n’en est rien. Encore une fois, je cours, je parle vite et trop, j’oublie le parcomètre et repousse mes rendez-vous. Mais encore une fois, je savoure tout le plaisir que j’éprouve à partir.

Partir pour aller loin, partir pour aller haut, partir pour revenir.

Bernard

 

Calendrier 1999

  • 22 mars 1999 : Népal – Départ pour Katmandou
  • 1 avril 1999 : Trekking – Accès au camp de base (5 400m)
  • 15 avril 1999 : Acclimatation – Installation des camps d’altitude
  • 5 mai 1999 : Sommet (8 850m)
  • 20 mai 1999 : Retour à Montréal en compagnie de Dorjee Sherpa
 

Journal de bord – 1999

Les extraits du journal de bord de l’expédition sont écrits par Nathalie Tremblay conjointe de Bernard et témoin privilégié elle assure la coordination de l’expédition depuis le camp de base au pied de l’Everest. Tous les moyens sont utilisés pour transmettre le plus fidèlement possible l’ascension de Bernard et Dorjee sur le toit du monde: cahier de note, tablette à dessin, appareil photos, caméra vidéo, magnétophone, walkie talkie, téléphone satellite…

C’est Nathalie qui la première fut informée de la réussite de l’équipe. Le 5 mai 99 à 12:10 Dorjee prit le walkie talkie et dit : « Nathalie, Nathalie, Summit, Summit, Summit!!! »

 

22.03.99 – NOUVEAU DÉPART

Vous le savez sans doute, Bernard est reparti pour une seconde tentative à l’Everest. Cette fois, il tente sa chance dans la période du printemps. Les statistiques démontrent que la fenêtre de beau temps est plus favorable au printemps, mais qui sait ? Une toute petite équipe est en place. Bien sûr, j’accompagne Bernard et comme la dernière fois, je consacre mes journées aux communications, photos, films… sans oublier d’être près de lui pour partager chaque instant. Son compagnon de cordée est Dorjee Fulelee Sherpa. Bernard l’a connu à sa première tentative et souvent ils ont grimpé ensemble. Depuis 97, ces deux hommes correspondent régulièrement. Bernard lui porte beaucoup d’admiration. Il est un alpiniste très très expérimenté, un gars sensible, un ami. L’équipe est complétée par un cuisinier et un ami de Dorjee. Plusieurs expéditions sont présentes au camp de base; beaucoup plus d’alpinistes qu’en 97. L’itinéraire demeure le même, soit par le versant népalais avec un camp de base et quatre camps d’altitude. Cela réconforte Bernard de connaître une grande partie du parcours, mais l’imprévu demeure le danger le plus important. Encore une fois, plusieurs entreprises le supportent et Bernard tient à les remercier. Toutes les expéditions nécessitent une grande précision, de la minutie et tout devient important. 200 kilos de choses essentielles et légères !!! Vous tous commanditaires, fournisseurs de produits, partenaires, avez apporté chacun un bout de corde; tous ces bouts de corde, une fois assemblés, relieront le camp de base au sommet.

Depuis que Bernard a aperçu le sommet, le sommet n’a jamais quitté sa pensée mais il ne suffit pas d’y être, il faut d’abord s’y rendre et en revenir. Il conserve encore une place, dans son sac à dos, pour y mettre quelque chose d’impalpable, le goût de vivre. Dans quelques semaines, bien au-dessus des nuages, il sera sûrement émerveillé… encore une fois.

 

24.03.99

On aperçoit Dorjee. Katmandou. Un collier de fleurs véritables nous est offert. Bernard savoure ce moment. Enfin il retrouve celui avec qui il souhaite toucher le ciel, du haut du monde.

 

25.03.99

Check list, check list, check list, permis, papier, signatures, rendez-vous, achats… et rencontre de Prim Sherpa notre cuisinier du camp de base.

 

26.03.99

Dorjee achète les drapeaux de prières, du riz, de l’encens, des brindilles… pour la cérémonie religieuse prévue au camp de base. Bénédiction d’un moine Tibétain dans un monastère de Katmandou. Nous rencontrons notre ami Fausto De Stefani, cet illustre alpiniste italien qui a complété l’ascension des 14 sommets ayant 8000 m et plus. Il ira rejoindre son compatriote et compagnon de cordée Sergio Martini qui tentera l’Everest son dernier sommet de cette prestigieuse collection… En 1997, Bernard avait grimpé avec eux.

 

29.03.99

Le Twin Otter se pose dans le village de Lukla à 2 800m d’altitude. Bernard retrouve Chwangba Sherpa. Il aidera l’expédition au transport et à l’installation des campements d’altitude. Quelques Km pour rejoindre le village de Phakding et on s’installe chez Dorjee. Sa femme, son fils, beaux-parents etc… partageons un repas. Demain, départ vers le camp de base. Bernard semble très heureux et surtout très concentré. Il a décidé d’offir toute son énergie à l’Everest.

 

30.03.99

Installé sur un rocher, Bernard observe l’Everest. Rien ne lui ferait détourner son regard. Nous sommes encore très loin de la montagne et déjà il semble en être envahi.

 

07.04.99

Nous sommes à 5 000 mètres d’altitude à 2 jours du camp de base. La santé va bien. Pas de problème d’acclimatation. Il neige, ne fait pas très chaud et il vente beaucoup vers l’Everest. Tout va bien du côté logistique. Lorsque nous serons au camp de base ce sera plus facile de communiquer avec Montréal car nous pourrons installer les panneaux solaires nous permettant d’avoir de l’énergie et recharger les piles des téléphones.

Nous marchons lentement. Une simple entorse de cheville sur ces sentiers cahoteux pourrait l’empêcher d’escalader. Même attention pour la nourriture et les courants d’air… surtout pas de grippe! Tout au long de cette marche d’approche nous rencontrons des sherpas avec qui nous avions partagé l’expédition de 97.

 

10.04.99

Arrivée au camp de base, 5 400m. Installation des tentes. Vérification du matériel et montage du système d’énergie solaire. Dorjee est très occupé à vérifier les centaines de kilos de matériel porté par les yaks. Nuit froide, l’Everest, sa cascade de glace… tout y est.

 

12.04.99

Rencontre des autres équipes. Le camp de base devient un véritable village. Déjà une centaine de personnes s’y sont installées et d’autres sont attendues. Les sherpas sont occupés à bâtir l’autel pour la cérémonie bouddhiste appelée Puja, prévue dans quelques jours.

 

14.04.99

Lever très tôt. Les sherpas sont affairés à tout préparer pour la cérémonie Puja. Ça y est, le moine Lama s’installe et la prière débute. 2 heures durant, face à l’Everest, le Lama récite. Du thé et des biscuits sont offerts. Une ambiance de fête. J’ose espérer que les prières sauront protéger Dorjee, Chwangba et Bernard. La cérémonie se termine par une bénédiction des alpinistes, de leurs crampons et de leur piolet. Les drapeaux de prières flottent sur notre campement. Maintenant tout est en place pour débuter les ascensions d’acclimatation.

 

16.04.99

Il est 4 heures du matin. Il fait nuit. Le bruit des réchauds nous réveille. On se lève pour préparer le départ. Bernard se force pour manger. Je le sens prêt à débuter cette longue ascension qui durera peut être un mois. Je l’accompagne jusqu’au pied du glacier. Dorjee porte exactement les mêmes vêtements qu’en 97. Au moins 500m séparent nos tentes du glacier. On doit traverser plusieurs campements. Certains alpinistes se préparent eux aussi. Dorjee et Bernard chaussent les crampons et je lui dit simplement : « Sois prudent ». Je sais combien l’ascension de la cascade de glace peut-être dangereuse. Je sais que plusieurs alpinistes y ont laissé leur vie. Crevasses, chutes de séracs, échelles à franchir… En 97 on a même retrouvé au bas de cette cascade de glace des pièces d’équipement de la première ascension Canadienne à l’Everest en 82. Certains y avaient trouvé la mort. Je retourne lentement vers nos tentes; à partir de maintenant, j’aurai toujours avec moi le walkie talkie, seul lien avec Dorjee et Bernard. Je vivrai encore cette fois de longs moments d’attente mais je demeure confiante.

 

19.04.99

Ils sont de retour au camp de base. Tout s’est bien déroulé. La première phase d’acclimatation est complétée. Jusqu’à maintenant notre stratégie fonctionne à merveille. En 97, Bernard a du franchir la cascade de glace à 12 reprises. C’est beaucoup trop souvent. Ils ont donc décidé de dormir au camp I dès la première ascension et d’aller au camp II avec une charge légère pour revenir au camp I et d’y dormir avant de redescendre. Bernard est fatigué mais très optimiste. Dorjee retrouve ses amis sherpas pour une interminable partie de carte. Quelques jours de repos et préparation pour la seconde phase d’acclimatation.

 

21.04.99

Installé dans la tente repas, j’aperçois un groupe de trekkeurs approcher de notre campement. Je reconnais immédiatement un ami de longue date de Bernard, André. Bernard estomaqué court vers André et lui saute dans les bras. C’était touchant, quelques larmes et larges sourires. Nous savions qu’un groupe d’amis d’André se proposait de venir au camp de base mais André lui, devait rester dans un village beaucoup plus bas dans la vallée. Il y a un an seulement il a subi une sérieuse crise cardiaque… André et Bernard ont traversé ensemble en 1978 la Terre De Baffin. Il fut un alpiniste renommé avec plusieurs ascensions dans les Rocheuses, les Alpes françaises et surtout son ascension hivernale du Cap Trinité. Jasette, jasette…

 

22.04.99

Longue rencontre avec Goran Krop et sa copine Renata. On se partage le même emplacement au camp de base et on envisage d’organiser la tentative sommitale ensemble. Goran a atteint le sommet en 96 après avoir pédalé sur son vélo de Stockholm à Katmandou! Excellent alpiniste et surtout joyeux très joyeux. Il est entouré d’une équipe, photographe, journaliste, coordonnateur. Son objectif : appuyer Renata pour qu’elle devienne la première Suédoise sur le toit du monde. Quant à lui, il ne sait pas s’il tentera de nouveau. Échange de sirop d’érable contre confiture de framboises.

 

23.04.99

Départ pour la seconde phase d’acclimatation, objectif: atteindre le camp III à 7 400m et y passer une nuit. Avant même que Prim notre cuisinier allume les réchauds, nous rejoignons Dorjee. Installé devant l’autel de pierres, il fait brûler des branches de genévrier et prie. Il lance du riz vers le ciel. Je constate que même les sherpas ont toujours une crainte profonde d’escalader les hautes montagnes. Le soleil éclaire la cascade de glace et j’aperçois deux petits points noirs au milieu des blocs de glaces. La lumière du matin est si magnifique que je m’installe avec mes crayons et mon calepin pour esquisser quelques croquis. Photos, vidéos et notes. Chwangba revient au camp de base, il est parti monter de l’équipement au camp II. Il a rencontré Dorjee et Bernard en route vers le camp II, et tout semble bien se passer. Bernard est toujours le premier à quitter le camp de base, parce qu’il ne veut pas se retrouver dans la cascade en plein soleil, chaleur, danger d’avalanches et chutes de séracs. Aujourd’hui des immenses avalanches sont parvenues près du camp de base. Heureusement qu’elles sont d’une montagne voisine. Je n’arrive pas à m’habituer à ces grondements. C’est jour et nuit que j’entends ces chutes de pierres ou de neige. Pourvu que l’Everest retienne ses neiges…

 

26.04.99

Objectif atteint. Ils ont atteint le camp III hier et y ont passé la nuit. L’acclimatation au camp III est très importante et cela leur donne une bonne idée pour la suite. S’ils réussissent à s’assoupir et manger un petit peu ils sauront résister aux efforts indescriptibles qui les attendent. Ils sont de retour au camp II. Bernard m’a raconté tous les détails de cette ascension par walkie talkie. Sa tente est installée 100m plus haut qu’en 97 soit 7 400m. Ainsi il est plus près des fameuses bandes jaunes (rochers de couleur jaunâtre) qu’il aura à escalader lors de sa tentative sommitale. Il m’a raconté qu’il avait atteint le camp II en 6 heures 30 directement du camp de base et que Goran Krop le surnommait : « Canadian Train » celui qui n’arrête jamais!!! Il me semble si confiant, si déterminé, si heureux d’être seul avec Dorjee. Jusque-là tout se passe bien. Son acclimatation est très bonne même excellente. Il m’a raconté que Dorjee lui a proposé de passer la nuit au camp III, ce qu’aucun sherpa n’accepte de faire. Ils ont mangé, mais très peu. Du vent, des fortes rafales, mais rien de plus. Par contre, ils ont une belle vue de la partie supérieure de l’Everest et là, ça souffle toujours avec une puissance inimaginable. Encore trop tôt dans la saison pour qu’un alpiniste puisse rêver de faire le sommet. On espère que le courant jet (jet stream) se pousse vers le nord pour qu’ils puissent tenter vers le 10 ou le 15 mai. À la fin mai, il est déjà trop tard. La mousson laissera de fortes épaisseurs de neige en montagne.

 

27.04.99

Je les attends au pied de la cascade de glace. Je m’installe sur un rocher et j’essaie de les reconnaître au loin parmi d’autres alpinistes. J’apporte toujours avec moi la caméra vidéo et l’appareil photo ainsi que du jus froid pour Bernard et du thé chaud pour Dorjee. J’aimerais tellement avoir une vue sur cette vallée du silence entre le camp I et le camp II face au Lohtse. D’ici, du camp de base on n’aperçoit même pas le camp I. Une immense épaule de l’Everest coupe même la vue de la pyramide sommitale. Il faudrait marcher pendant des heures pour arriver à observer l’ensemble de l’itinéraire et je me retrouverais trop loin pour intervenir au cas où…

Toutefois, le camp de base offre un panorama à couper le souffle. Je profite des lumières matinales pour m’émerveiller. En début d’après-midi, lorsque le soleil plombe je me permets une sieste… prolongée!!! J’arrive à dormir profondément, les 5400m ne m’affectent plus beaucoup. J’adore la rusticité de l’endroit, l’ambiance. Je m’y sens bien. Il y a seulement une petite ombre au tableau, les toilettes… Pour me laver, j’ai résolu la question. Prime le cuisinier me prépare une large bassine d’eau chaude que j’apporte dans ma tente. J’y suis confortable. Bernard m’a toujours dit qu’une grande tente au camp de base améliore le quotidien. Il a bien raison, j’arrive même à m’y tenir debout.

Ça y est, je les aperçois; OUF! Chaque traversée de cette cascade de glace m’angoisse.

 

29.04.99

Deuxième jour de repos au camp de base. Dorjee fait sa lessive, Bernard et moi faisons un inventaire de l’équipement, puisque maintenant il y a du matériel aux camps I, II,III. Une fine logistique s’impose. Tout doit être prêt pour une tentative du sommet. Le camp de base est devenu fébrile. Beaucoup d’énervements. Nous ne sommes même pas en mai et ça discute du sommet. Certains disent que la fenêtre de beau temps s’ouvrirait plus tôt cette année et que dans quelques jours, les conditions pourraient devenir favorables… Certains alpinistes ayant plus de difficulté avec leur acclimatation deviennent pessimistes, car il n’ont toujours pas atteint le camp III. Ça court d’une tente à l’autre, les ordinateurs sont tous branchés pour connaître les prévisions météo. Bernard, lui, reste calme. Je ne le reconnais pas, lui qui habituellement cause à tout le monde… Assis, il observe la montagne, ses nuages, comme s’il l’écoutait. Il est aucunement préoccupé des stratégies qui sont mises en place par les autres grimpeurs. Je sais qu’il veut atteindre le sommet, qu’il le désire plus que tout mais je suis surprise et heureuse de son attitude… Yves (Laforêt) lui avait dit de concentrer son énergie… Je crois qu’il a compris!

 

30.04.99

Oui, ils sont repartis. Dès 4h30, Bernard, Dorjee et Chwangba ont quitté le camp de base. Hier soir, après maintes consultations auprès des équipes et sherpas, la décision de tenter le sommet fut prise. On s’attendait tous à 8 jours minimum de repos, mais la météo semble devenir favorable. C’est osé, mais ils sont prêts pour cette tentative. Seulement 2 jours de repos entre la deuxième phase d’acclimatation et l’assaut final me semble peu. Je souhaite ardemment que Bernard se soit reposé suffisamment. Ce matin, Dorjee m’a rappelé plusieurs fois que je devrai faire brûler du genévrier durant toute la nuit de l’ascension vers le sommet. Avant de quitter, Bernard m’a serré très fort dans ses bras. Quelques larmes. Il m’a promis d’être prudent et de garder toujours en tête que réussir signifie: atteindre le sommet et de revenir vivant. Ils ont chaussé leurs crampons et rapidement je les ai perdus de vue dans ce labyrinthe glacé.

 

2.05.99

Ils ont atteint le camp III. 7 400m. Une courte communication car nous ménageons les batteries du walkie talkie. Bernard me décrit la météo, le froid, le souffle court, la perte d’appétit et surtout la détermination qui l’habite. Demain tout sera nouveau puisqu’en 97 c’est là, au camp III que les tempêtes les ont repoussés à deux reprises. Goran, Renata et son équipe sont tentés sur la même plate-forme. Ils arrivèrent plusieurs heures plus tard. Bernard fut très rapide. Cela me rassure. En haute montagne la vitesse est un élément clé.

 

3.05.99

Le camp IV est atteint, 8 000m. Courte conversation. Tout va bien. Il m’a dit que l’ascension des bandes jaunes et de l’éperon des Genevois fût beaucoup plus difficile qu’il ne le croyait. Il a tenu à me décrire la vue qu’il a sur le Nupste. Il vente toujours sur l’arrête sommitale. Je l’encourage à boire et d’essayer de se détendre puisque dans quelques heures, ils devront repartir, en pleine nuit, cette fois vers le sommet.

22h. Je communique avec eux pour les aviser que les plus récentes prévisions météo signalent une augmentation des vents et qu’il faut abandonner l’idée d’une tentative cette nuit. Il me dit qu’il avait déjà chaussé les bottes… J’insiste, j’insiste. Je lui demande de me rappeler dans 30 minutes.

22h30. Ils ne partent pas. Les différentes expéditions présentes au col Sud ainsi que les sherpas ont décidé de ne pas bouger. Je l’ai senti très très déçu. Je lui souhaite bonne nuit en sachant qu’il ne dormira pas un instant. N’oublie pas de boire.

 

4.05.99

6h du matin. Je lui ai parlé. Nuit atroce sans sommeil, tout comme la mienne. Plusieurs équipes se préparent pour redescendre. Ils estiment que le temps ne s’améliorera pas. Quant à Bernard ils ont décidé de rester pour une tentative la nuit prochaine. Même décision pour Goran et Renata, pour certains américains, mexicains, anglais…

À 8 000m, il y a si peu d’oxygène que les alpinistes ont souvent beaucoup de difficulté à demeurer clairs et précis dans leurs propos. Bernard me semble cohérent. J’en étais certaine, j’ai confiance. Je lui conseille de sortir de la tente, de marcher un peu. On doit se rappeler à 19h.

19h. Il a marché le col Sud et m’a dit s’être rendu au Tibet! Le col semble être un endroit désolé. Moitié cailloux, moitié neige. Le vent se calme. Décision à 22h.

22h05. Ils tentent le sommet. Bernard se prépare. Dorjee et Chwangba sont déjà à l’extérieur à préparer les régulateurs et bouteilles d’oxygène. Bernard me rappelle que Dorjee insiste pour que toute la nuit, il y ait un feu de genévrier. Je lui répète bonne chance, prudence, je t’aime.

 

5.05.99           

Toute la nuit, le walkie talkie à la main je marche entre ma tente et la tente cuisine. Prim est resté éveillé. Les réchauds ont fonctionné toute la nuit. Notre ami Iniaki (célèbre grimpeur Basque) me rejoint. Il m’encourage et me répète que Bernard réussira. Il m’offre de m’accompagner dans cette attente interminable. Il court vers d’autres campements et me rapporte des nouvelles. Tout semble bien aller même si la progression est très lente due au fait qu’ils sont les toutes premières équipes à tenter cette année et qu’ils doivent installer les cordes fixes à plusieurs endroits.

Ils sont au balcon, 8 500m. Le soleil est levé tout est OK. Le genévrier brûle et j’avale café sur café. Partout au camp de base les gens sont attroupés autour des walkie talkie. Tous attendent. Je suis certaine qu’il réussira.

Ils ont atteint le sommet Sud , 8 700m. Iniaki me dit: « Tu vois ils y sont presque ». Il croit peut-être que j’ignore l’itinéraire. Du sommet Sud il y a cette arête très étroite et ventée et le fameux ressaut Hillary, 8 mètres d’ascension verticale sur du rocher. Un obstacle devant lequel plusieurs grimpeurs ont fait demi-tour. Je sais que cette partie d’ascension est excessivement dangereuse. Certains cadavres y sont toujours. J’ai confiance à l’expérience de Bernard. Avec Dorjee, il est confiant. Quant à Chwangba, c’est sa première tentative vers le sommet. Que c’est long d’attendre, où sont-ils?

Mon walkie talkie se met à grésiller, c’est Dorjee, j’entends « Nathalie, Nathalie, SUMMIT, SUMMIT, SUMMIT » Hourra, Iniaki saute, crie, me serre dans ses bras. Chez l’équipe de Goran, même explosion de joie. Ils ont dû atteindre le sommet ensemble. Je porte mon regard vers les nuages. Je suis essoufflée de joie, mon cœur est tout là haut. Il est 12h10.

12h50. Il annonce la descente. J’ai encore peur. Je sais que descendre est encore plus dangereux. 13 heures d’ascension, ils sont épuisés et leur réussite pourrait les distraire. La plupart des tragédies surviennent à la descente. Tant qu’ils n’auront pas atteint le camp IV, je resterai nerveuse et inquiète. Encore 6 heures à serrer dans mes mains le walkie talkie, à sursauter au moindre grésillement qu’il émet. Plusieurs alpinistes viennent à nos tentes pour nous féliciter. Bernard, Dorjee et quelques autres alpinistes, sont les premiers cette année a toucher le sommet.

18h00. Camp IV. Enfin, là je peux savourer la victoire. Bernard me dit qu’il est heureux. Il tentera de se reposer, même entassés à trois dans leur tente. Je rejoins ma tente et m’écroule dans un sommeil profond.

 

7.05.99

Iniaki, son amie Rachel et moi sommes assis sur un rocher au pied de la cascade de glace. Nous les attendons. Je n’ai qu’une hâte, qu’il quitte le glacier. Ce n’est pas parce qu’ils ont atteint le sommet que les crevasses sont plus étroites et moins dangereuses. Échelles, avalanches, chutes de séracs… tout peut arriver. Ils mettent beaucoup plus de temps cette fois. Ils sont certainement exténués. Le jus est froid, le thé est chaud, il ne manque qu’eux.

Ils apparaissent au détour d’un sérac. Ils avancent lentement, leurs pas sont chancelants. Ils approchent. Ils sont là. Ils ont réussis.

 

10.05.99

Tout est emballé, les yaks sont chargés, la tente cuisine est démontée. L’endroit redevient qu’un tas de cailloux. Les fêtes, les bravos, les accolades se sont succédés depuis leur retour du sommet. Plusieurs alpinistes n’ayant pas atteint le sommet viennent chercher des conseils et encouragements. Atteindre le sommet au début de mai, c’est rapide. On nous observe plier bagage avec envie et une touche avouée de jalousie. Goran, Renata et leur équipe emboîtent le pas, nous partons ensemble. Trop fatigué, Bernard promet de me raconter tous les détails de sa réussite pendant le trek. J’ai hâte mais mon bonheur est centré sur leur réussite. Notre stratégie a bel et bien fonctionné. Aucune blessure, aucun anicroche… une expédition parfaite. Pour Dorjee, c’est son quatrième succès à l’Everest. De plus en plus considéré par tous, comme l’un des meilleurs sherpas. Bernard a maigri. Il entrevoit le trek de retour avec un peu d’inquiétude. Son souffle est court et rapide, mais il est si heureux. À tous les vingt pas il se retourne pour revoir le camp de base, pour scruter du regard la cascade de glace et surveiller les avalanches. Plusieurs amis tenteront, à leur tour, dans les jours ou semaines prochaines. Il est encore arrêté, il regarde encore l’Everest, il y est encore.

 

13.05.99

L’hélicoptère se pose enfin. Nous l’attendions hier. L’équipe de Goran et la notre avons nolisé le vol qui doit nous conduire directement de Syangboche à Katmandou. Les rhododendrons sont en fleurs, ça sent la verdure et la tempête semble souffler vers l’Everest.

 

17.05.99

Après des jours de négociations, de fax, de téléphones, de rendez-vous, nous obtenons enfin le visa de Dorjee.

 

20.05.99 – DORVAL.

Les portes s’ouvrent, parents et amis sont là. Dorjee sort aussitôt d’une longue boîte, 3 colliers de fleurs véritables comme il y a deux mois de cela.

Écrit par Bernard Voyer et Nathalie Tremblay, du 22.03.1999 au 20.05.1999

 

Calendrier 1997

PRÉPARATION
1992 : Paris – Rencontre des membres d’une équipe française ayant gravi l’Everest
1995 : Paris – Dépôt d’une demande de permis.
1996 : Paris – Obtention de l’agrément du comité Himalaya, fédération française de la montagne.
1996 : Rocheuses – Diverses ascensions au Canada.
1996 : Alpes – Séjour technique à Chamonix.
1997 : Argentine – Ascension du Maipo 5 264m, Andes
1997 : Argentine – Le 22 janvier Bernard est sur le plus haut sommet des Amériques le mont Aconcagua 6959m, Andes.
 
PREMIÈRE TENTATIVE – AUTOMNE 97
1997 : Alpes – Séjour technique à Chamonix.
22 août 97 : Népal – Départ pour Katmandou.
1 sept. 97 : Trekking – Accès au camp de base 5400m.
6 sept. 97 : Acclimatation – Installation des camps d’altitude.
oct. 97 : Tentatives sommitales.
22 oct. 97 : Retour à Montréal – Conférence de presse, Aéroport de Dorval.

 

Journal de bord – 1997

Journal de bord de la première tentative d’ascension de l’Everest en 1997.

 

30.08.97

Aujourd’hui, un hélicoptère nous a transportés de Katmandou jusqu’à Lukla (2 800m) avec nos 1 500 kilos de bagages. Vol sans histoire. À Lukla, on nous a accueillis en nous offrant un foulard de soie appelé « kata ». C’est une coutume pour souhaiter la bienvenue aux arrivants. Le kata est aussi offert en guise de protection contre les dangers de la montagne. Nous nous sommes tout de suite mis en route. Quelques heures de marche jusqu’à Phakding où nous avons dormi.

 

31.08.97

Montée de 800 mètres de Phakding jusqu’à Namche Bazar. Ici c’est la fin de la mousson, cette période des pluies qui rend le temps très humide. Le ciel est constamment couvert et déverse souvent sur nous des pluies fines. Même quand il ne pleut pas, l’air reste très humide. Le sentier jusqu’à Namche Bazar est splendide. Nous longeons une rivière que nous traversons sur des ponts d’une hauteur vertigineuse. Beaucoup de fleurs poussent ici, dont l’edelweiss, cette fleur généralement associée aux Alpes.

Les jardins sont remplis de choux, d’ail, de pommes de terre. Le transport du matériel est assuré par des porteurs et par des « gzo » un animal issu du croisement de la vache et du yack. Nous voyons très peu de yacks en chemin car ils sont encore dans les pâturages d’été. Le yack est surtout mis à contribution en haute altitude, après Namche Bazar pour monter jusqu’au camp de base de l’Everest. L’altimètre marque aujourd’hui, 3 440m.

 

04.09.97

Nous sommes arrivés à Lobuche (4 930m), une centaine de mètres plus haut que le Mont Blanc qui culmine à 4 807 mètres. Déjà certains effets de l’acclimatation à la haute altitude se font sentir. Myriam Leibundgut, un membre de notre équipe, souffre de sérieux maux de tête. À cette altitude, il n’y a plus d’arbres. La prairie himalayenne est recouverte de nombreuses fleurs le long de la moraine. Le temps est très nuageux. Notre rendez-vous avec le lama de Thyangboche pour recevoir sa bénédiction n’a pas eu lieu puisqu’il était en retraite fermée. Notre cérémonie s’est donc tenue à Pheriche (4 243m) dans un des plus anciens monastères du Népal. Cinq moines bouddhistes nous ont reçus et le rite a duré environ une heure et demie au rythme des chants et de la musique des tambours et des cymbales. Les Sherpas sont satisfaits. La bénédiction est une cérémonie obligatoire pour tous ceux qui tentent de gravir l’Everest afin de nous préserver des dangers de la montagne et éloigner les mauvais sorts. Hier, nous avons secouru un jeune porteur atteint de malaises causés par la haute altitude. Nous l’avons installé à l’intérieur de notre caisson hyperbare, sorte de sac de couchage entièrement hermétique où il est possible de recréer artificiellement différentes altitudes. Le jeune porteur y est donc demeuré complètement enfermé pendant une heure à une altitude artificielle de 1 800 mètres alors que nous nous trouvions en réalité à 4 000 mètres. Ses maux de tête et ses vomissements ont passé et il a pu reprendre sa descente en assez bonne forme.

Les bzos ont maintenant laissé leurs charges aux yacks qui sont plus performants en haute altitude. Nous sommes tous un peu plus essoufflés car il y a déjà environ 30% de moins d’oxygène dans l’air ambiant. Demain, nous passerons la nuit à Gorak Shep, (5 286m) nous dépasserons donc la barre des 5 000 mètres. Nous nous rendrons aussi au sommet du Kala Pattar pour une observation de la pyramide sommitale de l’Everest. Notre Sirdar (chef Sherpa) et un autre Sherpa qui ont tous deux atteint deux fois le sommet du Toit du monde pourront nous donner quelques indications sur certaines étapes et le trajet final de l’ascension.

En terminant, Nathalie se porte bien malgré quelques petits maux de tête qui devraient passer à mesure qu’elle s’acclimatera. En revanche, Thierry est très fatigué et doit s’arrêter à quelques reprises pour se reposer pendant la progression. Quant à moi, je me sens très bien jusqu’à maintenant en dépit du souffle qui se fait légèrement plus court. Samedi devrait normalement nous trouver au camp de base…

 

05.09.97

Partis de Lobuche (4 930m) ce matin, nous gagnons Gorak Shep (5 288m) après trois heures de marche. C’est la dernière étape avant le camp de base. Le temps est très très couvert et les pluies abondantes. Nous apercevons rarement les sommets car tout le paysage est enveloppé dans les nuages. Ici à Gorak Shep, nous profitons des derniers coins de verdure fleurie avant de s’attaquer demain, à la moraine du glacier du Kumbu qui nous mènera jusqu’au camp de base. Des nouvelles de l’équipe. Nathalie s’acclimate très bien. Légers maux de tête de temps à autres. Thierry lui, a trouvé très difficile l’étape jusqu’à Lobuche. Il a souffert de violents maux de tête mais rassurez-vous, son état n’est pas inquiétant. Il a fait un court  » séjour  » dans le caisson hyperbare, cette sorte de sac de couchage ou de ballon hermétique à l’intérieur duquel il est possible de recréer des altitudes artificielles. Il a très bien récupéré et a pu reprendre sa marche lentement. Ses maux de tête se sont calmés. Comme Nathalie, je m’acclimate très bien et ne souffre encore d’aucun malaise. L’important est de bien s’alimenter (l’appétit étant un bon signe d’acclimatation) et surtout de boire beaucoup. Le reste de l’équipe se porte bien, certains étant plus rapides que d’autres. Encore là, petits maux de tête de temps à autres. Quant aux Sherpas, ils n’éprouvent évidemment aucune difficulté reliée à la haute altitude, étant tout à fait habitués.

Nous mangeons très bien depuis le début de la marche d’approche. La nourriture est succulente, plus que nous l’aurions cru ou espéré. Les repas sont principalement composés d’œufs, de riz, de pâtes alimentaires, de pommes de terre et de quelques autres légumes. Le cuisinier et ses aides qui seront en permanence avec nous au camp de base, partent un peu plus tôt le matin et s’arrêtent pour préparer le dîner. Ils repartent aussi avant tout le monde en après-midi pour préparer le repas de l’étape du soir. Ils font vraiment de l’excellente cuisine.

Nous dormons dans des lodges, sorte de refuges très rustiques. Plus nous montons, moins les lodges sont confortables. C’est pour cette raison que Nathalie et moi avons préféré installer une petite tente pour y passer les deux dernières nuits. Nous avons tous hâte à demain pour enfin nous retrouver au pied de cette montagne mythique.

 

07.09.97 – ARRIVÉE AU CAMP DE BASE

Quatre heures de marche sur la moraine du glacier du Kumbu entre Gorak Shep et le camp de base. Dès notre arrivée, nous assistons à une autre cérémonie religieuse présidée par un lama qui est également un alpiniste spécialiste de la cascade de glace. Le cérémonial a lieu à l’extérieur, face à l’Everest et est accompagné de prières, de chants, d’offrandes, de riz que chacun lance dans les airs et d’un gâteau au beurre de yack auquel il faut obligatoirement goûter. Par la suite, le rituel devient festif. On nous offre de la farine qu’on se lance à la figure! Il fallait voir la  » raclée  » de farine que s’est pris le lama!!! La bénédiction suit et le lama nous enfile une ficelle autour du cou. La fête se termine alors qu’un alcool de riz et des pommes de terre frites (avec un léger goût de crevettes!) sont servis. C’est alors que la neige s’est mise à tomber. Il a beaucoup neigé cette nuit et le camp de base se trouve sous une dizaine de centimètres de neige.

Ce fut une journée fatigante. Encore quelques petits maux de tête chez certains membres de l’équipe (normaux à ces altitudes) qui devraient normalement passer d’ici un ou deux jours. Le camp de base compte environ une trentaine de tentes: une tente pour les communications, une pour l’infirmerie, une autre pour les bagages en plus de celles pour dormir. La tente-cuisine avait déjà été installée par les Sherpas arrivés avant nous. C’est une impressionnante tente aux murs de pierres. L’endroit est très propre. Tous les déchets sont redescendus dans la vallée, on ne néglige même pas les  » rejets humains  » qui sont rapportés dans la vallée dans des barils de plastique. Nous bénéficions également d’une tente-douche fonctionnant à l’aide d’un système de pompes manuelles.

 

08.09.97

Une équipe de Sherpas est partie faire une première installation des cordes fixes et des échelles sur la cascade de glace. L’équipe se rendra aussi au camp d’altitude numéro 1 pour y porter un peu d’équipement. Quant à notre lama spécialiste de la cascade de glace, il chaussera ses crampons demain pour aller lui aussi installer les cordes fixes et les échelles nécessaires à l’ascension de cette difficile et périlleuse portion du trajet. Il en profitera pour se recueillir et attacher sur l’équipement quelques petits morceaux de tissu en guise de prières. Il en laissera aussi tomber quelques-uns dans les crevasses dont certaines atteignent une centaine de mètres de profondeur.

Nous avons pu apercevoir et surtout entendre très clairement une avalanche au-delà de la cascade de glace. C’est un phénomène très impressionnant à observer. Aujourd’hui, nous avons installé notre système de panneaux solaires sur nos tentes. Quelques heures de travail sont nécessaires. Quelle satisfaction de se rendre compte que tout fonctionne comme prévu. Le matériel n’a souffert d’aucun bris pendant le transport.

Il y a d’énormes écarts de température entre la nuit et le jour. Ce soir, la température extérieure se situe autour de -5 degrés Celcius. Par contre le jour, lorsque le soleil se montre, il est très puissant à cette altitude et nous pourrions nous asseoir dehors en T-shirt. Après demain, nous effectuerons notre première sortie sur la cascade de glace, histoire d’aller visualiser un peu l’allure souvent changeante de ce trajet.

 

09.09.97

Journée passée au camp de base à inventorier et ajuster notre matériel tout en continuant notre acclimatation. Nous en avons aussi profité pour rencontrer les membres d’autres expéditions présentes. En après-midi, pour le thé, nous avons reçu une équipe espagnole qui tentera l’Everest. Cette équipe est formée de deux alpinistes accompagnés d’un médecin. Ils ont à leur agenda tout un programme scientifique. C’était très intéressant d’échanger avec eux.

En soirée, ce sont deux italiens que nous avons reçus pour le souper. Cette équipe tentera quant à elle, l’ascension du Lhotse (8 500m). Se trouve également au camp de base, une équipe coréenne qui tentera aussi d’atteindre le sommet du Lhotse. Une équipe de mexicains devrait arriver dans les prochains jours pour s’attaquer à l’Everest.

En résumé le camp de base compte jusqu’à maintenant trois équipes tentant le sommet de l’Everest: les espagnols, les mexicains (à venir) et nous, et deux équipes s’attaquant au Lhotse: les italiens et les coréens. C’est donc un camp de base relativement peu peuplé comparativement à d’autres années.

Le temps est toujours très neigeux.

 

10.09.97

Enfin! Enfin la montagne, enfin les premiers pas sur la cascade de glace. Nous montons environ 350 mètres. Nous effectuons les premiers passages à l’aide d’échelles, ces fameuses échelles. Nous « enjambons » aussi nos premières crevasses. Certains passages sont d’une hauteur vertigineuse. L’accent est vraiment mis sur la sécurité. Tout est vérifié et planifié en fonction d’une progression sécuritaire. Je dois avouer quant à moi que je trouve cette première sortie en montagne plutôt amusante, mais surtout, c’est tellement beau! Au terme de notre montée, nous consacrons du temps à vérifier le matériel, histoire de se donner quelque chose à faire pendant que notre acclimatation suit son cours.

Il fait une chaleur indescriptible. On pourrait être en t-shirt si ce n’était pas imprudent sur le glacier avec l’utilisation des cordes. Parce qu’il neige abondamment et qu’il fait très chaud, cela cause des avalanches. Nous observons fréquemment des coulées de neige et de roches. Elles ne sont heureusement pas menaçantes pour le camp de base ni pour notre tracé d’ascension.

Pendant notre sortie sur la cascade de glace, les gens restés au camp de base s’affairent à différentes tâches. Par exemples, l’installation de l’hôpital ou encore le réglage des fréquences des walkies talkies entre les différentes équipes, les Sherpas, etc. afin d’éviter toute confusion et de bien coordonner les communications.

Il a neigé beaucoup durant la nuit du 9 au 10 septembre.

 

11.09.97         

Laissez-moi vous parler de la Cascade de Glace que l’on pourrait décrire comme la peau très ridée d’un géant où il y a des crevasses. C’est la fin d’un glacier au relief labouré, brisé. Le terrain est en désordre, tumultueux si on peut dire. D’immenses blocs de glace, des séracs, tiennent dans un équilibre précaire et certains pèsent des centaines voir des milliers de tonnes. Malgré leur poids extraordinaire, il ne s’agit souvent que d’un peu de soleil, que d’une vibration du sol pour qu’ils basculent et tombent. Cela produit un vacarme assourdissant. On en entend d’ailleurs jour et nuit de ces séracs qui s’écroulent. Un glacier, c’est vivant, ça bouge continuellement et c’est là-dedans qu’il faut à chaque fois passer pour aller au camp 1 et en revenir. La Cascade de Glace (ou Ice Falls) est une paroi plutôt verticale mesurant environ 700 à 800 mètres. Comme vous l’avez lu hier, nous y avons effectué notre première sortie pour vérifier le matériel et étudier le parcours proposé par les Sherpas qui en sont des spécialistes. Les Sherpas y ont installé des cordes et des échelles.

Un de ces passages avec échelles est d’ailleurs très impressionnant. Les Sherpas ont abouté sept échelles avec des cordes d’escalade ce qui représente vous vous en doutez, une sacrée hauteur! Ça bouge, ça branle mais c’est normalement très fiable. Il y en a à la verticale, mais il y en a aussi à l’horizontale pour traverser les crevasses qui font 50, 60, parfois 100 mètres de profondeur. Assurés par un mousqueton rattaché à l’une des deux cordes qui longent l’échelle comme des rampes, les crampons de fer dérapant sur l’aluminium des échelles, je vous assure que nous ne perdons pas notre temps à les traverser … avant d’en affronter une autre! C’est ce qui rend cette partie de l’ascension périlleuse. Tous les alpinistes détestent d’ailleurs cette traversée de l’Ice Falls. Selon notre planification d’ascension, nous aurons à y faire 6 allers-retours, soit 12 traversées en montant ou en descendant car c’est l’obstacle qui se dresse entre le camp de base et les camps d’altitude.

Petite anecdote. En montant hier, nous avons croisé notre lama qui avait présidé la cérémonie de bénédiction dès notre arrivée au camp de base. Je vous rappelle qu’il est un spécialiste de la Cascade de Glace. Il avait encore dans une oreille un peu de la farine que nous lui avions lancée à la fin du rituel…!

Demain, nous allons à nouveau franchir la Cascade de Glace pour aller porter du matériel au camp 1 (6 150m) , y installer un campement rudimentaire et y passer la nuit. Cela devrait poursuivre notre acclimatation. Nous reviendrons au camp de base samedi.

Comme je l’ai mentionné, nous mangeons très bien ici. La nourriture est excellente et très bien présentée. Le chef-cuisinier a déjà travaillé une dizaine d’années dans un hôtel de Katmandou et il nous sert de petits beignet aux pommes, différents types de pains, des gâteaux, du pop corn, c’est très varié. De plus les équipes présentes s’invitent l’une et l’autre et chacune offre une spécialité. Ce qui est étonnant, c’est que même si nous sommes au pied de la plus haute montagne du monde, il s’y est installé un confort relatif. L’ascension nous oblige à soutenir un gros effort pendant des jours. Et lorsqu’on revient au camp de base, c’est comme si on retrouvait la vie, la chaleur, la bonne table.

 

12.09.97

Aujourd’hui, des nouvelles de Nathalie.

L’équipe et Bernard sont partis vers 8h pour le camp d’altitude numéro 1. Ils ont de nouveau traversé la Cascade de Glace et sont arrivés au camp 1 vers midi. Ils y dormiront pour poursuive leur acclimatation. Nous avons écouté les walkies-talkies toute la journée pour assurer un lien entre les alpinistes et le camp de base. J’aurai d’ailleurs la radio avec moi toute la nuit. Tout est calme aujourd’hui au camp de base. J’en ai profité pour recharger les batteries, lire un peu et me reposer. Bernard mentionnait qu’il a des maux de tête aujourd’hui. Il s’adapte beaucoup mieux que moi à l’altitude cependant. La nuit, je me réveille avec de très gros maux de tête. Comme Bernard l’expliquait hier à l’émission de Marie-France Bazzo, cela est dû au fait que pendant le sommeil, le rythme respiratoire ralentit ce qui provoque une déficience en oxygénation du cerveau. Nous nous réveillons pour prendre quelques profondes respirations.

Nous avons eu des nouvelles radio de nos amis Lise et Michel Perron et Tim et Audrey Kenny qui sont présentement en route pour le camp de base. Ils ont dîné à Tughla et devraient dormir à Lobuche ce soir. Thierry et le responsable des Sherpas ici au camp de base sont partis à leur rencontre. Normalement ils devraient rejoindre le camp de base d’ici deux jours, soit dimanche au plus tard. On les attend avec impatience.

 

15.09.97

Quelle journée bien remplie. Pour commencer, nos deux amis Michel Perron (principal commanditaire de l’expédition) et Tim Kenny sont arrivés au camp de base. Un bel exploit en soi pour ces deux sexagénaires. Michel est exténué, il dort présentement ayant trouvé le trek très éprouvant. Tim quant à lui est pleine forme. Nous avons fêté leur arrivée en ouvrant une bouteille de champagne. À cette altitude, avec la pression, je peux vous dire qu’un bouchon de liège ne se fait pas prier pour sauter. Il restait peu de champagne dans la bouteille mais ça n’a affecté en rien la beauté du moment.

Thierry est continuellement occupé à soigner tout le monde au camp de base. Un des alpinistes italiens est malade, un des basques souffre de problèmes d’altitude, Thierry n’arrête pas. Je parie que la file d’attente est cependant moins longue ici que dans les hôpitaux du Québec!!!

En ce qui concerne Nathalie, aujourd’hui elle a ouvert ses tubes de peinture (antigel, S.V.P.!) et peint les montagnes environnantes. Je n’ai pas encore réussi à admirer les résultats, puisque de façon intrigante, je ne trouve pas les toiles. Elles sont roulées quelque part et j’ai beau chercher, elles restent secrètement rangées….

Pour ma part, notre équipe est retournée au camp 1. Un autre aller-retour sur la Cascade de Glace, d’autres passages sur les échelles dont une commence sérieusement à s’incliner vers la droite, au-dessus de la crevasse. Dois-je ajouter que je ne l’aime pas tellement celle-là.

Les Sherpas ont atteint pour la première fois le camp 2 aujourd’hui. Ce n’est pas une mince affaire avec les chutes de neige abondantes. Ils ont d’ailleurs dû trouver un autre itinéraire car le premier qu’ils avaient tracé a été le théâtre d’avalanches. L’ascension fut difficile pour eux, chargés qu’ils étaient de leurs sacs à dos contenant le matériel et marchant dans une couche de neige leur arrivant à la mi-cuisse. Notre équipe sera donc en mesure d’aller au camp 2 dans deux ou trois jours. Nous retournerons au camp 1, prendrons le matériel déposé là et monterons au camp 2. Les Sherpas détestent dormir au camp 2. C’est vrai que c’est une partie avalancheuse et ils préfèrent marcher plusieurs heures de plus pour éviter d’y dormir.

La fin de la mousson provoque de grands écarts de température. En nous réveillant tôt le matin, c’est frais, il fait autour de -8 degrés Celsius. Puis vers 9 heures, le soleil sort de derrière la montagne et la température s’élève jusqu’à environ 13 heures et la chaleur devient insupportable. On se croirait sur une plage de la Martinique. C’est très chaud. Nous en profitons à ce moment pour utiliser notre tente-douche.

En après-midi, les nuages remontent de la vallée et le temps se fait très changeant. Il pleut, il neige, dix minutes plus tard il fait très chaud et puis il neige à nouveau. Vraiment instable comme température. C’est à n’y rien comprendre. Toute l’étendue de notre garde-robe est mise à contribution, du t-shirt aux trois épaisseurs de laine polaire.

 

16.09.97

Mardi   Nous passons la journée en compagnie de Messieurs Perron et Kenny. Nous visitons les autres expéditions en place au camp de base. Ils ont donc l’opportunité de rencontrer les membres des équipes italienne et espagnole. Toute notre équipe est au camp de base pour prendre du repos de sorte que nos amis ont pu échanger avec chacun des coéquipiers. Aujourd’hui les Sherpas ont reçu une formation pour l’utilisation des appareils ARVAS, sorte de petit émetteur porté sur soi et qui sert à localiser une personne qui aurait été ensevelie sous une avalanche.

 

17.09.97

Départ de nos amis Perron et Kenny qui retournent rejoindre leurs conjointes Lise et Audrey restées un peu plus bas dans la vallée. Après leur départ, nous nous affairons à la réparation de certaines pièces d’équipement entre autres, guêtres et vêtements déchirés… Nous occupons notre journée avec un peu de couture, un peu de lecture et en écoutant de la musique. La patience est une règle d’or dans les expéditions himalayennes, il faut savoir attendre.

Les Sherpas partis installer le camp 2 sont de retour au camp de base. Ils y restent pour quelques jours afin de se reposer un peu à leur tour. Pendant qu’ils étaient au camp 2, nous en avons profité pour faire avec eux, les tests et les réglages des walkies talkies. Les communications entre le camp de base et les camps 1 et 2 s’effectuent ainsi sans aucun problème.

La température est toujours aussi exécrable. C’est couvert et il neige. Pour compenser, ce soir nous nous gâtons avec un repas « à la Petit Extra », c’est-à-dire, Mesdames et Messieurs, que nous souperons d’un succulent gésier de canard confit (lyophilisé) que Jean Filippi a amicalement préparé pour nous. J’en rêve déjà.

 

18.09.97

Encore une fois, je vous retrouve au camp de base. J’ai très hâte d’aller dormir pour qu’enfin arrive demain. Nous partirons pour le camp 2 (6 450m) demain matin vers 4h30, avant le lever du soleil afin de passer le plus tôt possible la Cascade de Glace qui devient instable sous l’action de la chaleur. Pour tromper l’attente, tout le monde lit. Comme le disait Marie-France Bazzo lors de notre appel de ce matin, c’est une sorte de Salon du livre au pied de l’Everest.

Aujourd’hui, l’équipe mexicaine est arrivée au camp de base. Cette équipe est composée de Mexicains bien sûr, mais aussi de Péruviens, de Colombiens et d’Américains. Depuis quelques jours nous observions avec beaucoup d’intérêt et d’étonnement les Sherpas installer à grands frais la Cascade de Glace pour cette équipe. Nous ne pouvions faire autrement que d’être impressionnés par les moyens déployés. Nous évaluions les coûts à plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Les Mexicains sont enfin arrivés… exténués. Toute l’équipe avait trouvé le trek jusqu’ici très éprouvant. Lorsque les Sherpas leur ont indiqué où était la Cascade de Glace, ce terrain labouré et qu’ils ont compris ce que représentait l’ascension de l’Everest, ils ont renoncé! Ils ont dit non, ce n’est pas pour nous, c’est trop difficile, on remballe et on repart! Ils quitteront le camp de base demain. Le fameux lama spécialiste de la Cascade de Glace, vous vous souvenez, celui à la farine, c’est lui qui était responsable d’ouvrir le passage dans la Cascade de Glace pour cette équipe. Et bien il doit tout démonter. Il continuera certainement d’être très occupé dans les prochains jours.

C’est tout de même une nouvelle peu réjouissante pour les alpinistes ici. Même si l’on dit parfois de l’Everest que c’est une vraie « autoroute », qu’il y a de plus en plus de gens qui tentent d’atteindre ce sommet si convoité, ce n’est pas vrai cet automne. Et il faut dire que le nombre aide à l’ascension. C’est aussi plus sécurisant. Parfois ça peut nuire, car les pistes sont encombrées. Mais ça aide pour tracer le trajet, ça aide en cas de pépin, il y a plus de Sherpas pour le transport du matériel et pour ouvrir les pistes.

En tout, nous ne serons que 14 alpinistes à tenter de toucher le Toit du monde. Et de toute évidence, tous ne réussiront pas. Combien auront le privilège de se tenir debout sur le sommet de l’Everest? À vous de spéculer…

 

19.09.97

Des nouvelles de Nathalie…

Après la journée d’hier consacrée à la préparation des derniers bagages, l’équipe et Bernard sont partis vers 5 heures ce matin en direction du camp 2 (6 450m). Chemin faisant, ils se sont arrêtés quelques minutes au camp 1 pour ramasser le matériel déposé là lors de leurs deux montées précédentes.

Nous avons été régulièrement en communication avec les grimpeurs aujourd’hui. Ils ont atteint le camp 2 vers 17 heures. Ils y dormiront ce soir. Quand je lui ai parlé, Bernard semblait très fatigué. La montagne prend son dû. À cette hauteur, il y a environ la moitié moins d’oxygène qu’à Montréal par exemple. Demain, l’équipe devrait redescendre au camp 1 pour prendre le reste du matériel et revenir au camp 2 passer une autre nuit. Si la température le permet, ils en profiteront aussi pour ouvrir une partie du tracé vers le camp 3. Selon l’horaire établi, nous devrions les retrouver au camp de base dimanche.

Une triste nouvelle… Thierry a passé la nuit d’hier et une partie de la matinée auprès d’un membre de l’équipe coréenne victime d’une hémorragie. Il a d’ailleurs dû être évacué par un hélicoptère arrivé au camp de base en après-midi et qui l’a emporté vers un hôpital de la vallée. Nous lui souhaitons tous le meilleur des rétablissements.

Un des six Sherpas d’altitude, Dorjee, a travaillé sur le tournage d’un film Imax ici à l’Everest. Le film devrait sortir en salle au Québec au printemps prochain.

Quant à moi, journée de repos et de lecture. J’ai déjà lu un livre complet. Ça fait du bien! J’ai aussi assuré les communications entre le camp de base et les grimpeurs pendant la journée. Nous les suivons à la trace. Cela aide à calmer les petites inquiétudes…

 

22.09.97

De retour au camp de base après deux nuits passées au camp 2. J’ai très bien dormi là-haut. Jusqu’à maintenant, je m’adapte bien à l’altitude. Certains membres de l’équipe ont cependant souffert de maux de tête et d’hallucinations durant la première nuit. La deuxième nuit s’est beaucoup mieux déroulée pour tout le monde. Dans quelques jours, nous tenterons d’atteindre le camp 3 pour y passer une nuit, nous redescendrons le lendemain dormir au camp 2 et ensuite, nous reviendrons au camp de base. Cette fois, ce sera le branle-bas de combat car nous préparerons le matériel pour remonter aux camps d’altitude et tenter le sommet à partir du début d’octobre. Pour employer une image, l’ascension de l’Everest s’effectue un peu comme un Yo-Yo qui remonterait chaque fois un peu plus haut.

Voulez-vous encore des nouvelles de la Cascade de Glace? En redescendant du camp 2, il m’est arrivé une aventure étonnante lors d’un passage sur une échelle surplombant une crevasse. J’étais seul à ce moment, mes coéquipiers étant à quelque distance. Au milieu de la traversée, exactement au-dessus de la crevasse, une de mes bottes est restée coincée après l’un des barreaux. J’avais beau tirer de toutes mes forces pour décoincer les crampons, rien à faire. Je recule d’un pas pour poser le pied sur le même barreau et ainsi me donner un meilleur appui pour pousser, voilà que la deuxième botte reste prise à son tour! Je suis là, seul, debout sur une échelle instable au-dessus du vide et j’ai les deux pieds cadenassés à un barreau. Une seule solution possible. Je me penche, je délace mes chaussures, je les retire et je complète la traversée… en chaussettes! Pas besoin d’ajouter que c’était plutôt froid, et assez glissant. Je n’arrivais pas à y croire. J’étais assis sur la Cascade de Glace avec devant moi une échelle tendue au-dessus du vide et je pouvais observer mes deux chaussures trônant sur le gouffre. Un Sherpa est arrivé et nous servant de son piolet comme bras de levier, étendu de tout mon long sur l’échelle pour l’aider, nous avons réussi après plusieurs minutes à décoincer mes fameuses chaussures.

Ce n’est pas tout. Ce midi, pendant le repas, nous étions tous ensemble dans la tente. Un fort bruit d’éboulis se fait entendre. Comme cela arrive fréquemment ici, personne ne réagit vraiment mais une des personnes se trouvant près de la porte sort et rentre aussitôt en nous pressant de sortir. À deux kilomètres au-dessus de nos têtes, un pan entier de l’épaule sud-ouest de l’Everest s’est détaché en entraînant avec lui des centaines de tonnes de neige. Une imposante avalanche s’est déclenchée causant un souffle d’une force incroyable sur le camp de base. Une panique s’est emparée de nous tous. Sherpas, ouvriers, alpinistes, tout le monde s’est mis à crier et à courir (évidemment dans le sens contraire de l’avalanche!) pour se réfugier derrière des rochers. Chacun essayait de se couvrir le visage avec un bout de tissu pour parvenir à respirer. Le ciel s’est obscurci et en quelques minutes, 2 à 3 pouces de neiges se sont abattus sur le camp de base. Je peux vous dire que ça fait tout un effet de se trouver dans une tempête qui s’abat soudainement sur vous et qu’on ignore quand et surtout SI cela va s’arrêter.

Heureusement, personne n’a été blessé et le camp de base n’a subi aucun dommage. Les tentes ont tenu le coup sous la violence du déplacement d’air et le matériel est en parfait état. Il faut se rappeler qu’il y a quelques années, le souffle d’une avalanche partie exactement du même endroit avait littéralement rasé le camp de base et arraché toutes les tentes. Il n’y avait eu aucun blessé ni décès, mais d’énormes pertes de matériel.

Être témoin d’une avalanche aussi spectaculaire est réellement une vision époustouflante, apocalyptique. La traînée de neige et de roches partie de l’épaule sud-ouest devait faire environ un kilomètre de largeur. Nous nous en tirons simplement avec une bonne frousse, ce qui est somme toute une conclusion plutôt heureuse.

 

24.09.97

Des nouvelles de Nathalie…

Ce matin, départ de Bernard pour le camp 2. Il a complété le trajet en 4 heures 30 minutes environ. Il était très satisfait de son temps d’ascension. Cela signifie que son métabolisme s’est très bien adapté à l’altitude et qu’il est capable de fournir un effort soutenu sans éprouver trop d’inconfort. Il dort là ce soir et monte demain au camp 3 pour une autre nuit. Cette étape au camp 3 rend Bernard un peu nerveux. Les avalanches de ces derniers jours sont la cause de ses appréhensions. Le camp 2 est relativement sécuritaire. Il n’est pas dans le corridor d’avalanche. La position du camp 3 comporte plus de risques. Bernard doit être de retour au camp de base vendredi.

Hier nous avons été témoins d’une autre gigantesque avalanche partie du même endroit que celle de lundi. Il y en avait eu une pendant la nuit moins importante. Celle d’hier après-midi était la plus impressionnante. La vague de neige dévalant vers nous devait mesurer au moins 3 kilomètres de largeur. Une fois de plus, la panique s’est emparée de tout le camp de base. Bernard faisait la sieste sous la tente à ce moment. Il est sorti en catastrophe ne prenant ni le temps de se vêtir ni de se chausser. C’est donc en sous-vêtements et les pieds nus qu’il s’est mis à courir sur les roches pour aller se mettre à l’abri derrière un rocher. Le ciel s’est obscurci en quelques instants. Je vous assure que le souffle que produit ces centaines, voire ces milliers de tonnes de neige qui se décrochent à 7 800m de hauteur pour se ruer jusqu’à la Cascade de Glace, est d’une violence incroyable. Il a balayé le campement pendant une quarantaine de secondes. Quelques pouces de neige sont tombés en l’espace de quelques secondes. C’était vraiment une vision de fin du monde. Pendant ces minutes, on se demande sérieusement si nous allons nous en tirer. La chance nous accompagne cependant puisqu’il n’y a pas eu de blessé ni de perte de matériel ou de tente. Qui a dit que le camp de base de l’Everest est un endroit tout à fait sécuritaire? Pas ces derniers jours en tout cas…

De plus en plus on peut observer que c’est la fin de la mousson. Hier et aujourd’hui, il n’y avait pas de nuages dans le ciel. Les importantes chutes de neige et le nombre relativement peu élevé d’équipes présentes ont ralenti l’installation des camps d’altitude. Il est plus ardu d’ouvrir les pistes dans toute cette neige qui monte jusqu’à la taille, surtout lorsqu’il faut transporter du matériel. On vit dehors continuellement. En plein air ou sous la tente, la température est la même. L’air ambiant est très humide. Heureusement, nous avons de bons sacs de couchage qui nous gardent au chaud.

 

26.09.97         

Parti le premier du camp 3 situé à 7 300m (environ 24 000 pi.) ce matin vers 7 heures 30, je suis de retour au camp de base après une nuit très difficile, sans sommeil. C’était très froid ce matin, environ -20 Celsius. Le camp 3 est un endroit que je n’aime pas. Nous avons campé sous un sérac, sur une plate-forme que les Sherpas ont taillée à la pelle pour pouvoir monter les tentes. C’est très étroit comme campement. D’ailleurs en sortant de la tente, une passerelle mesurant à peine une quarantaine de centimètres de largeur surplombe une crevasse.

En contrebas ce n’est pas le vide complet mais c’est une sacrée pente. Je comprends mieux maintenant pourquoi les Sherpas refusent d’y dormir. Il y a quelques années, un japonais ayant mis le feu à sa tente en utilisant son réchaud, était sorti en vitesse sur la corniche sans ses chaussures. L’erreur lui fut fatale puisqu’il est tombé dans la crevasse. C’est également un endroit frustrant car nous ne sommes qu’à 1500 mètres du sommet. Mais nous devons redescendre car aucun d’entre nous n’est encore prêt à tenter le sommet.

À 24 000 pieds d’altitude, il ne reste que la moitié d’oxygène dans l’air. C’est une étape obligatoire pour continuer notre acclimatation. La montagne a ses exigences qu’on doit patiemment respecter. Ce qu’il y a d’extraordinaire cependant, c’est qu’en prenant de l’altitude, on dépasse le Pumori qui culmine à 7 145 mètres et nous apercevons le sommet du Cho Oyu (8 153 m). C’est donc dire que le paysage se dégage, que l’horizon s’ouvre lentement devant nos yeux. C’est vraiment très beau.

De retour au camp de base donc, après une journée très éprouvante physiquement. Je suis arrivé vers 13 heures 45 après m’être arrêté au camp 2 et au camp 1 pour me reposer et m’hydrater le plus possible. Heureusement, j’ai été en mesure de manger un peu là-haut, mon appétit ne me faisant pas tout à fait défaut. Cela n’a pas été le cas pour tous mes compagnons. Certains avaient des nausées qui allaient même jusqu’au vomissement. Dans ces conditions, la fatigue vous gagne rapidement. Nous sommes ici pour plusieurs jours afin de refaire nos forces avant l’assaut sommital et pour permettre aux Sherpas de terminer l’installation du dernier camp d’altitude, le camp 4 situé à 8 000 mètres. Cet arrêt de quelques jours est très bienvenu.

 

29.09.97

Nous avons appris aujourd’hui que le camp 3 où nous avons passé la nuit de jeudi dernier a été balayé par des vents d’une force effroyable. Notre tente a été déchirée, celle des espagnols également. Même au camp 2, une grande tente appartenant aux japonais a été arrachée. Tout le monde attend au camp de base que le temps se calme un peu. Même les Sherpas sont bloqués ici. Il y aura donc d’autres tentes à remonter au camp 3 et certainement un peu de pelletage dans la neige pour dégager la corniche sur laquelle nous campons.

En attendant, équipes de grimpeurs et Sherpas cohabitent au camp de base. Les Sherpas sont extrêmement gentils. On parle beaucoup avec eux. Ils sourient tout le temps, ils jouent aux cartes. L’un d’entre eux a touché le Toit du monde à six reprises! Tôt le matin, ils se lèvent et commencent à préparer le petit déjeuner en nous réveillant doucement avec leurs sifflements et leurs chants. La plupart sont assez jeunes et eux aussi sont loin de leurs familles. On échange sur tous les sujets; l’amour, l’éloignement, la montagne. On prend nos repas avec eux et nous découvrons le rythme auquel ils vivent, ils observent le nôtre. On partage de très beaux moments ensemble.

Une seule ombre au tableau: l’agent de liaison. C’est un fonctionnaire du gouvernement népalais qui se promène sur place pendant toute la durée de l’expédition et qui épie tout ce que chacun fait. Son seul rôle: avertir son gouvernement de la réussite des grimpeurs ayant atteint le sommet, avant même que nous puissions diffuser la nouvelle à nos familles ou aux médias de nos pays respectifs. Il s’enquiert de chaque pas et geste de tous le monde et donne son avis «éclairé» sur ce que nous faisons. Sa compagnie est totalement désagréable.

Nous devions repartir dans quelques jours. Nous en sommes empêchés par la mauvaise température. Nous ne sommes pas en retard sur l’horaire initial prévu mais notre départ pour l’assaut final est repoussé de quelques jours. Nous aurons probablement à patienter jusqu’à la fin de la semaine que les conditions météorologiques s’améliorent. J’ai l’impression d’être un coureur sur les blocs de départ et que le coup d’envoi ne se fait pas entendre. Je suis impatient de me mettre en route. En attendant, je refais mes forces, je regarde le spectacle grandiose des séracs qui basculent dans la Cascade de Glace, je révise et prépare mon matériel une fois de plus, j’écoute les chants et les sifflotements des Sherpas. Je suis prêt. Je suis attentif au «O.K.» que devraient nous donner la montagne et la météo.

 

01.10.97

Toujours « captifs » du camp de base. Le temps est vraiment mauvais. Là-haut, les vents violents continuent de malmener les campements d’altitude. Le ciel est couvert et il neige beaucoup. C’est apparemment le fait du changement de Lune. On ne sait toujours pas quand il nous sera possible de démarrer les tentatives sommitales.

Pour passer le temps, les gens vont marcher au pied de la Cascade de Glace. Ce glacier en mouvement perpétuel cache dans ses replis une multitude d’objets et de souvenirs. Chose étonnante, nous y avons trouvé un morceau de carton marqué du logo «EVEREST 82». Savez-vous d’où provient ce bout de carton? De la première expédition canadienne à l’Everest! Quinze ans séparent cette expédition et la nôtre…

Un alpiniste italien, Fausto de Stephano, s’intéresse aux anciennes pièces de matériel de montagne. La Cascade de Glace est pour lui une vraie mine d’or. Il a réussi à rassembler une centaine d’objets retrouvés lors de ses promenades sur le glacier. Autour de sa tente, étalées sur de grandes roches plates, ces vieilles pièces de matériel composent un véritable petit musée d’histoire de l’Everest. On peut y admirer de vieilles vis à glace, des bouts de corde, d’anciens mousquetons, des pics à glace en bois (!) et des crampons qui doivent avoir au moins une quarantaine d’années.

Keta, le médecin espagnol qui supervise avec Thierry la tente-hôpital, collectionne lui aussi les vieux souvenirs qu’offre la Cascade de Glace. Il cherche surtout des pièces d’équipement médical. Il a trouvé un très vieux stéthoscope, des pinces, des ciseaux, etc. On dirait qu’il est à la recherche de toutes les anciennes trousses de premiers soins que le glacier a transportées! Comme Fausto, Keta a monté un petit musée près de sa tente. C’est fascinant de regarder ces objets ayant appartenu à des expéditions précédentes.

Autre passe-temps, les repas. Comme toutes les équipes sont en attente ici au camp de base, nous continuons de nous inviter les uns et les autres pour échanger autour d’un bon repas. Ce matin, les espagnols sont venus prendre le petit déjeuner. Ils sont arrivés avec du jambon et des saucissons du pays de Navarre, la région d’où ils sont originaires. Faut-il vraiment préciser que c’était excellent? Nous avons bien évidemment sorti le sirop d’érable qui connaît toujours beaucoup de succès.

Nous essayons de passer le temps de mille et une manières. La montagne, elle, continue de nous enseigner la patience.

 

06.10.97

Des nouvelles de Nathalie…

Hier, quatre membres de l’équipe et Bernard sont montés au camp 2. Ils y ont passé la nuit et ont atteint aujourd’hui le camp 3 (7 300m) en faisant leur chemin dans une température exécrable. Il a beaucoup neigé là-haut. Bernard et le Sherpa Passang ont dû pelleter pendant près de deux heures et demie pour dégager la tente. Une terrible tempête sévit au camp 3 et une de nos tentes a été très endommagée de sorte que deux alpinistes ont demandé aux japonais et aux coréens la permission d’utiliser leurs tentes. Les compagnons de Bernard au camp 3 sont Yvan Estienne, Marie-Christine Contino, Yannick Navarro et Michel Pellé. Ce dernier a finalement décidé de tenter le sommet avec oxygène.

Comme il a déjà atteint le sommet lors d’une expédition précédente, il accorde cette fois-ci la priorité au film qu’il tourne sur l’expédition plutôt qu’à une tentative sommitale sans oxygène.

Un des Sherpas, Dorjee, est de retour de Namche Bazar où il rendait visite à sa conjointe qui connaissait des ennuis de santé. Il est monté au camp 2 aujourd’hui, et il tentera de rejoindre le reste de notre équipe pour l’assaut sommital. Demain, si la température le permet l’équipe essaiera de se rendre au camp 4 (8 000m).

Bernard disait se sentir nerveux aujourd’hui, il ressentait une espèce de trac. Je suis certaine que les efforts fournis pour la montée et pour déneiger la tente ont canalisé ses énergies et son attention et qu’il se sent plus calme à présent. Il a emporté avec lui deux bouteilles d’oxygène qui lui procureront approximativement 16 heures d’autonomie à raison d’un débit moyen de deux litres à la minute. Cela devrait être suffisant pour aller jusqu’au sommet à partir du camp 4 et en revenir. C’est là la seule réserve d’oxygène qu’il utilisera. Aucune autre dépose de bouteilles n’a été faite. Selon la planification d’ascension, la tentative sommitale devrait se faire dans la nuit du 8 au 9 octobre. Pourvu que la météo nous entende…

 

08.10.97

Le croirez-vous? Nous sommes de retour au camp de base!!! Quelle déception…

Partis du camp 2 lundi avec de forts vents comme compagnons de route, nous sommes arrivés au camp 3 après une pénible montée en pente raide. Plus nous prenions de l’altitude, plus il ventait fort. Une imposante besogne nous attendait au camp 3. Il fallait dégager les tentes brisées et ensevelies sous la neige. Nous avons dû travailler durant plus de deux heures à pelleter dans une neige très dure pour y avoir accès. Nous n’étions pas au bout de nos peines. Entassés dans cet étroit réduit, les parois de la tente écrasées par la neige, nous étions dans nos sacs de couchage comme dans des cercueils, pendant que dehors sévissait la tempête. Et laissez-moi vous dire qu’il y en a eu une véritable! Les vents du Jet Stream soufflaient certainement au-delà des cent kilomètres à l’heure et nous plaquaient littéralement le toit de la tente au visage. De la face du Lhotse se détachaient des morceaux de glace atteignant parfois la grosseur d’un poing fermé et qui tombaient sur nos tentes. On espérait que les morceaux restent de cette dimension-là. C’était insupportable. Dans le bruit infernal des vents on n’arrivait pas à s’entendre d’une tente à l’autre et nous devions utiliser nos walkies talkies pour communiquer. Nous nous sommes alors dit qu’il fallait d’urgence redescendre. Ce que nous avons fait très tôt en fin de nuit mardi matin. Nous n’étions plus en sécurité à 7 300 mètres.

En redescendant, nous avons constaté que le camp 2 avait été ravagé. Il n’y avait que des débris. Une vraie désolation. Toutes les expéditions sont à présent en sécurité au camp de base. Cet automne, personne n’a encore atteint le sommet de l’Everest ni celui du Lhotse. Nous devons attendre une nouvelle accalmie dans la météo. Toutes les équipes ici présentes doivent se consulter pour discuter des possibilités d’un nouveau calendrier d’ascension.

Fort heureusement, aucun grimpeur n’a été blessé dans cette mésaventure. Le moral n’est pas des meilleurs par contre. La tension est vive ici au camp de base. Demain (jeudi) nous aviserons à savoir si une nouvelle tentative sommitale peut être envisagée pour le week-end prochain, après bien sûr, avoir fait le bilan des dégâts matériels. Mais vu d’ici, lorsqu’on observe le Col Sud, rien n’est moins certain. Le temps est toujours pourri là-haut.

Dernières informations. L’équipe espagnole semble vouloir abandonner l’ascension de l’Everest.

Si notre équipe décidait d’un nouvel essai, l’équipée serait composée d’Yvan Estiennne, de Yannick Navarro, de notre Sherpa Dorjee, de 2 membres de l’équipe espagnole qui souhaiteraient se joindre à nous et de moi-même. On vous garde informés.

 

10.10.97

Le suspense continue. Nous avons eu du flair d’attendre jusqu’à aujourd’hui pour décider si nous renoncions à une ultime tentative sommitale. Ce matin j’ai été réveillé par une bonne nouvelle. Le temps était radieux. Le ciel est complètement dégagé. L’air est frais, mais c’est une très belle journée. Une des plus belles que nous ayons eue depuis le début de l’expédition. J’ai réfléchi un peu, j’ai serré Nathalie dans mes bras, j’ai eu peur pendant quelques instants et je lui ai finalement dit « j’y vais ». Je suis parti en compagnie de 4 Sherpas (Nima et les trois Dorjee). Nous dormons ce soir au camp 2. Yvan Estienne et Yannick Navarro sont déjà rendus au camp 3. Demain j’ai comme objectif de me rendre directement au camp 4 où je devrais retrouver Yvan et Yannick. Si la météo se maintient, le sommet est envisageable entre samedi et dimanche. Est-ce que la montagne nous donne finalement son accord? Je me sens excité et confiant. Nous observerons le ciel, je regarderai régulièrement ma montre et si le beau temps persiste, nous partirons pour le sommet.

 

14.10.97

Nous sommes en route vers Lukla. Nous devrions arriver à Katmandou jeudi si tout va bien. Samedi dernier, après avoir atteint le camp 3, une autre terrible tempête s’est levée et nous a encore une fois forcés à retraiter jusqu’au camp de base. Il ne s’est agi que d’un petit geste d’un coéquipier pour que nous rebroussions chemin. Pas une parole, pas de longue discussion, pas d’obstination, simplement un geste de la main qui signifiait que c’était peine perdue, que nous devions nous résigner, que nous ne pouvions nous battre plus longtemps contre les éléments déchaînés. Nous avons tourné le dos au sommet pour la dernière fois. Cet automne, l’Everest ne porte aucune trace de pas humains au-delà du camp 4. Aucune équipe sur place n’a pu se rendre au sommet de l’Everest ou du Lhotse. Nous ressentons tous du soulagement. Soulagés que cela soit terminé; soulagés parce que nous revenons tous sains et saufs; satisfaits parce que nous avons tenté tout ce que nous pouvions pour nous rendre au sommet. Il n’y a pas de rancune, la montagne est plus grande que l’humain; je l’ai déjà dit. Il faut savoir écouter ce qu’elle a à nous dire et respecter ses diktats. Elle n’a pas rendu son sommet accessible cette saison.

En chemin vers Pheriche hier, je me suis retourné souvent. Juste pour voir une dernière fois cette montagne avec laquelle j’ai intensément vécu ces deux derniers mois. L’Everest est en moi à présent. De la même manière que les Pôles y sont. Cette montagne ne me quittera plus. Puisque l’Everest est le plus haut point de la planète, on peut presque dire que quelque soit l’endroit où nous nous trouvons sur le globe, nous sommes toujours un peu sur ses flans, nous sommes toujours un peu entrain de la gravir ou d’en redescendre.

Je veux vous raconter une anecdote qui en dit long sur ce merveilleux peuple que sont les Sherpas et sur leur parfaite adaptation à l’environnement dans lequel ils passent leur vie. Lors de notre dernière tentative, je grimpais en compagnie de deux Sherpas. À un moment de l’ascension, j’ai rejoint et dépassé l’un d’entre eux. Plus nous montions, plus je le distançais. À un point tel que je me suis dit que ce n’était pas possible que moi, un occidental vivant à basse altitude, je sois plus performant à 7000 mètres qu’un Sherpa né dans l’Himalaya. Le deuxième Sherpa s’est arrêté à sa hauteur au moment où j’allais revenir sur mes pas pour m’enquérir de ce qui n’allait pas. Je me suis dit que le premier avait peut-être des problèmes de crampons ou d’engelures aux mains. Après quelques minutes, ils se sont remis en route et moi aussi. Hier en revenant vers Pheriche, je me suis informé auprès du Sherpa pourquoi il s’était arrêté pendant l’ascension. Avait-il eu un problème? Il me répond que oui. Il y avait un problème qui s’est réglé quand le deuxième Sherpa est arrivé. En fait il ventait tellement fort, qu’il n’arrivait pas à se protéger suffisamment du vent pour pouvoir….. allumer sa cigarette! À 7 000 mètres! Alors que nous avions toutes les peines du monde à respirer, eux sont tellement habitués à la montagne qu’ils peuvent se permettre de fumer. Les Sherpas sont un peuple tout à fait fascinant. C’est sans doute une des plus belles découvertes que j’aie faites que de pouvoir les côtoyer. Comme la montagne, leur bonne humeur, leur gentillesse, leurs sourires resteront à jamais gravés en moi.

 

27.10.97 – CONCLUSION

J’y suis encore. Toujours essoufflé à me remémorer notre dernière tentative. Si haut, et si près du but, presque immobilisé par la tempête, j’entendais mon cœur battre. Le vent a su traverser mes vêtements et atteindre mon espérance. Il m’a crié pendant de longues heures «retourne» et pourtant, mes pas me poussaient toujours vers le haut. Bien au-dessus des nuages, mon regard pointait le défi, mes mains serraient la corde, mes pieds s’accrochaient à la glace bleutée et pentue, le rêve laissait sa place à la vie. Le temps s’écoulait, le décor s’agrandissait, on montait et la montagne attendait. Les bourrasques de plus en plus violentes nous obligeaient à progresser à la manière d’un crabe, de côté à la montagne pour offrir son dos au vent, au sommet. Dorjee restait près de moi, impossible de croiser son regard enfoui dans le capuchon. Ses gestes, tout comme les miens, étaient au ralenti. Ses pas fermes et résolus m’inspiraient et m’incitaient à poursuivre. Il y avait de la vie tout près de moi, j’en avais besoin. Le vent criait toujours de plus en plus fort. Je ressentais « l’impossible ». Je voulais toujours essayer, encore un pas, un peu plus haut. Il a suffit d’un geste pour que mes pas s’arrêtent. Il a suffit d’un demi-tour pour changer ma vie. Face au vent, juste un instant, j’ai regardé le sommet.

À bientôt,

Bernard

 

10.05.98

Entre vous et moi Il y a déjà six mois, oui, le 10 octobre dernier nous quittions le camp de base pour notre dernière tentative sommitale. Nous n’étions que huit incluant les Sherpas à tenter notre chance… La tempête a décidé que personne n’irait au sommet.

Tous les jours je revis cette ascension et surtout ce printemps puisque d’autres alpinistes sont eux aussi, en ce moment, à espérer cette fenêtre de beau temps qui ouvre la possibilité de fouler le toit du monde. Plusieurs expéditions sont installées au pied de l’Everest, du côté tibétain comme du côté népalais. Oui, oui, je suis un peu envieux, même jaloux. Mon grand ami, le Sherpa Dorjee accompagne l’expédition de Singapour. C’est avec lui que j’ai grimpé le plus souvent. Son regard et son sourire m’apportaient beaucoup de détermination. Grâce au courrier électronique, j’ai des nouvelles de lui régulièrement et directement du camp de base. Il est toujours aussi performant et rapide en montagne. Il semble être heureux et m’invite à y retourner. Je l’admire, il a touché à deux reprises le sommet. Lorsqu’il m’écrit, il signe toujours «Dorjee, twice summiter». Toute une carte de visite!!!

Entre ses expéditions, il vit à Katmandou, avec se épouse et son fils. Son expédition de 96 l’avait conduit au sommet mais avec un sac à dos très lourd. Il portait l’objectif de la caméra IMAX. L’Américain David Brashear réalisait une grande première en filmant l’ascension de l’Everest en IMAX. Le matériel nécessaire est beaucoup plus lourd et encombrant que pour un film classique. Dorjee était patient et déterminé à se rendre tout en haut. Depuis le début d’avril ce film est présenté à Montréal au Vieux-Port. On y aperçoit Dorjee. J’avoue avoir été surpris du réalisme de ce reportage. Le film est très juste, véridique, sans tricherie et démontre avec exactitude ce que représente l’ascension du plus haut sommet. Je voulais entrer dans l’écran et poursuivre l’itinéraire prévu… en compagnie de Dorjee.

Depuis mon retour de l’Himalaya en octobre dernier, mon temps est consacré à revivre l’expédition. J’ai envie de partager ces instants, de parler de Dorjee, de raconter comment la montagne agit au plus profond de soi. On a souvent dit que les explorateurs étaient les conquérants de l’inutile. C’est vrai, inutile aux yeux de ceux qui souhaitent que chaque événement soit rentable. Je suis toujours aussi passionné de raconter comment monter une montagne nous fait grandir. À ce jour, 23 345 étudiants (primaire, secondaire et collégial) ont partagé avec moi cette aventure. Ensemble, on arrive à grimper. Ensemble on se donne le droit de rêver. Je vis un peu la même chose devant des gens d’affaires réunis en congrès. Nous sommes tous aventuriers et ce que j’ai vécu est vite transposé dans leur quotidien. À chacun son pôle Sud, à chacun son Everest.

Écrire. J’ai toujours ce projet bien accroché. Pour écrire un livre, il faut s’arrêter… Ce qui m’arrive trop rarement. Je ressens le besoin d’écrire, de tracer une fois de plus mes itinéraires sur papier. En attendant de décrire la sensation qu’on éprouve à vouloir atteindre l’horizon, je partage avec les lecteurs de magazine Lumière une réflexion personnelle sur des sujets comme l’émerveillement, le silence et les saisons. Il m’arrive également de participer à des livres scolaires. Les enfants du primaire retrouvent mes expéditions sur leur pupitre. J’en suis fier. Par le biais des mathématiques, du français, ils décortiquent mes récits pour mieux les saisir et pour, je l’espère, développer leur curiosité à parcourir le Monde, leur volonté de protéger notre planète.

Ça y est, 50 000 visiteurs de notre site Web de l’Everest. Nous devrions tous fêter cela, tous ensemble. Un moyen moderne de vous parler où que vous soyez. À l’école, dans l’entreprise, chez vous ou ailleurs. Notre courrier électronique ne dérougit pas. Je n’ai pas toujours le temps de répondre surtout lorsqu’on me demande de décrire toutes les étapes psychologiques que j’ai vécues depuis mes premières expéditions il y a maintenant plus de vingt ans. Ouf! Je suis toujours curieux de lire mon courrier électronique et j’y trouve des perles: «je m’appelle Maxime, j’ai 7 ans et j’aimerais savoir s’il fait froid en Antarctique ?». Ou bien: «Je travaille à Hydro, je suis écœuré de geler, quel est le meilleur anorak?»

Un autre projet pointe son nez. Sous forme de bande dessinée, le récit de mes aventures polaires prendrait un sens humoristique tout en demeurant précis, conforme à ce que j’ai ressenti. À suivre…

Certains projets attirent mon attention et m’incite à offrir mon appui. Un groupe d’adolescents atteints de leucémie partiront en expédition à la Baie d’Hudson l’été prochain. Huit jours d’aventure en compagnie des Inuit. Ils toucheront un sommet, celui de la volonté à s’accrocher à la vie. D’autres adolescents, ex-drogués, parcourent le Québec à pied, à vélo pour aller à la rencontre de ceux et celles qui rêvent de s’en sortir, de s’échapper de leurs menottes qu’est la drogue. Ces jeunes, malades ou ex-drogués sont mes héros. Je laisse en désordre, sur mon bureau, un livre d’alpinisme, un croquis de montagne, un mousqueton, un bout de corde, une photo de l’arête sommitale, une liste de matériel…

L’Everest prend encore beaucoup de place.