Les extraits du journal de bord de l’expédition sont écrits par Nathalie Tremblay conjointe de Bernard et témoin privilégié elle assure la coordination de l’expédition depuis le camp de base au pied de l’Everest. Tous les moyens sont utilisés pour transmettre le plus fidèlement possible l’ascension de Bernard et Dorjee sur le toit du monde: cahier de note, tablette à dessin, appareil photos, caméra vidéo, magnétophone, walkie talkie, téléphone satellite…

C’est Nathalie qui la première fut informée de la réussite de l’équipe. Le 5 mai 99 à 12:10 Dorjee prit le walkie talkie et dit : « Nathalie, Nathalie, Summit, Summit, Summit!!! »

 

22.03.99 – NOUVEAU DÉPART

Vous le savez sans doute, Bernard est reparti pour une seconde tentative à l’Everest. Cette fois, il tente sa chance dans la période du printemps. Les statistiques démontrent que la fenêtre de beau temps est plus favorable au printemps, mais qui sait ? Une toute petite équipe est en place. Bien sûr, j’accompagne Bernard et comme la dernière fois, je consacre mes journées aux communications, photos, films… sans oublier d’être près de lui pour partager chaque instant. Son compagnon de cordée est Dorjee Fulelee Sherpa. Bernard l’a connu à sa première tentative et souvent ils ont grimpé ensemble. Depuis 97, ces deux hommes correspondent régulièrement. Bernard lui porte beaucoup d’admiration. Il est un alpiniste très très expérimenté, un gars sensible, un ami. L’équipe est complétée par un cuisinier et un ami de Dorjee. Plusieurs expéditions sont présentes au camp de base; beaucoup plus d’alpinistes qu’en 97. L’itinéraire demeure le même, soit par le versant népalais avec un camp de base et quatre camps d’altitude. Cela réconforte Bernard de connaître une grande partie du parcours, mais l’imprévu demeure le danger le plus important. Encore une fois, plusieurs entreprises le supportent et Bernard tient à les remercier. Toutes les expéditions nécessitent une grande précision, de la minutie et tout devient important. 200 kilos de choses essentielles et légères !!! Vous tous commanditaires, fournisseurs de produits, partenaires, avez apporté chacun un bout de corde; tous ces bouts de corde, une fois assemblés, relieront le camp de base au sommet.

Depuis que Bernard a aperçu le sommet, le sommet n’a jamais quitté sa pensée mais il ne suffit pas d’y être, il faut d’abord s’y rendre et en revenir. Il conserve encore une place, dans son sac à dos, pour y mettre quelque chose d’impalpable, le goût de vivre. Dans quelques semaines, bien au-dessus des nuages, il sera sûrement émerveillé… encore une fois.

 

24.03.99

On aperçoit Dorjee. Katmandou. Un collier de fleurs véritables nous est offert. Bernard savoure ce moment. Enfin il retrouve celui avec qui il souhaite toucher le ciel, du haut du monde.

 

25.03.99

Check list, check list, check list, permis, papier, signatures, rendez-vous, achats… et rencontre de Prim Sherpa notre cuisinier du camp de base.

 

26.03.99

Dorjee achète les drapeaux de prières, du riz, de l’encens, des brindilles… pour la cérémonie religieuse prévue au camp de base. Bénédiction d’un moine Tibétain dans un monastère de Katmandou. Nous rencontrons notre ami Fausto De Stefani, cet illustre alpiniste italien qui a complété l’ascension des 14 sommets ayant 8000 m et plus. Il ira rejoindre son compatriote et compagnon de cordée Sergio Martini qui tentera l’Everest son dernier sommet de cette prestigieuse collection… En 1997, Bernard avait grimpé avec eux.

 

29.03.99

Le Twin Otter se pose dans le village de Lukla à 2 800m d’altitude. Bernard retrouve Chwangba Sherpa. Il aidera l’expédition au transport et à l’installation des campements d’altitude. Quelques Km pour rejoindre le village de Phakding et on s’installe chez Dorjee. Sa femme, son fils, beaux-parents etc… partageons un repas. Demain, départ vers le camp de base. Bernard semble très heureux et surtout très concentré. Il a décidé d’offir toute son énergie à l’Everest.

 

30.03.99

Installé sur un rocher, Bernard observe l’Everest. Rien ne lui ferait détourner son regard. Nous sommes encore très loin de la montagne et déjà il semble en être envahi.

 

07.04.99

Nous sommes à 5 000 mètres d’altitude à 2 jours du camp de base. La santé va bien. Pas de problème d’acclimatation. Il neige, ne fait pas très chaud et il vente beaucoup vers l’Everest. Tout va bien du côté logistique. Lorsque nous serons au camp de base ce sera plus facile de communiquer avec Montréal car nous pourrons installer les panneaux solaires nous permettant d’avoir de l’énergie et recharger les piles des téléphones.

Nous marchons lentement. Une simple entorse de cheville sur ces sentiers cahoteux pourrait l’empêcher d’escalader. Même attention pour la nourriture et les courants d’air… surtout pas de grippe! Tout au long de cette marche d’approche nous rencontrons des sherpas avec qui nous avions partagé l’expédition de 97.

 

10.04.99

Arrivée au camp de base, 5 400m. Installation des tentes. Vérification du matériel et montage du système d’énergie solaire. Dorjee est très occupé à vérifier les centaines de kilos de matériel porté par les yaks. Nuit froide, l’Everest, sa cascade de glace… tout y est.

 

12.04.99

Rencontre des autres équipes. Le camp de base devient un véritable village. Déjà une centaine de personnes s’y sont installées et d’autres sont attendues. Les sherpas sont occupés à bâtir l’autel pour la cérémonie bouddhiste appelée Puja, prévue dans quelques jours.

 

14.04.99

Lever très tôt. Les sherpas sont affairés à tout préparer pour la cérémonie Puja. Ça y est, le moine Lama s’installe et la prière débute. 2 heures durant, face à l’Everest, le Lama récite. Du thé et des biscuits sont offerts. Une ambiance de fête. J’ose espérer que les prières sauront protéger Dorjee, Chwangba et Bernard. La cérémonie se termine par une bénédiction des alpinistes, de leurs crampons et de leur piolet. Les drapeaux de prières flottent sur notre campement. Maintenant tout est en place pour débuter les ascensions d’acclimatation.

 

16.04.99

Il est 4 heures du matin. Il fait nuit. Le bruit des réchauds nous réveille. On se lève pour préparer le départ. Bernard se force pour manger. Je le sens prêt à débuter cette longue ascension qui durera peut être un mois. Je l’accompagne jusqu’au pied du glacier. Dorjee porte exactement les mêmes vêtements qu’en 97. Au moins 500m séparent nos tentes du glacier. On doit traverser plusieurs campements. Certains alpinistes se préparent eux aussi. Dorjee et Bernard chaussent les crampons et je lui dit simplement : « Sois prudent ». Je sais combien l’ascension de la cascade de glace peut-être dangereuse. Je sais que plusieurs alpinistes y ont laissé leur vie. Crevasses, chutes de séracs, échelles à franchir… En 97 on a même retrouvé au bas de cette cascade de glace des pièces d’équipement de la première ascension Canadienne à l’Everest en 82. Certains y avaient trouvé la mort. Je retourne lentement vers nos tentes; à partir de maintenant, j’aurai toujours avec moi le walkie talkie, seul lien avec Dorjee et Bernard. Je vivrai encore cette fois de longs moments d’attente mais je demeure confiante.

 

19.04.99

Ils sont de retour au camp de base. Tout s’est bien déroulé. La première phase d’acclimatation est complétée. Jusqu’à maintenant notre stratégie fonctionne à merveille. En 97, Bernard a du franchir la cascade de glace à 12 reprises. C’est beaucoup trop souvent. Ils ont donc décidé de dormir au camp I dès la première ascension et d’aller au camp II avec une charge légère pour revenir au camp I et d’y dormir avant de redescendre. Bernard est fatigué mais très optimiste. Dorjee retrouve ses amis sherpas pour une interminable partie de carte. Quelques jours de repos et préparation pour la seconde phase d’acclimatation.

 

21.04.99

Installé dans la tente repas, j’aperçois un groupe de trekkeurs approcher de notre campement. Je reconnais immédiatement un ami de longue date de Bernard, André. Bernard estomaqué court vers André et lui saute dans les bras. C’était touchant, quelques larmes et larges sourires. Nous savions qu’un groupe d’amis d’André se proposait de venir au camp de base mais André lui, devait rester dans un village beaucoup plus bas dans la vallée. Il y a un an seulement il a subi une sérieuse crise cardiaque… André et Bernard ont traversé ensemble en 1978 la Terre De Baffin. Il fut un alpiniste renommé avec plusieurs ascensions dans les Rocheuses, les Alpes françaises et surtout son ascension hivernale du Cap Trinité. Jasette, jasette…

 

22.04.99

Longue rencontre avec Goran Krop et sa copine Renata. On se partage le même emplacement au camp de base et on envisage d’organiser la tentative sommitale ensemble. Goran a atteint le sommet en 96 après avoir pédalé sur son vélo de Stockholm à Katmandou! Excellent alpiniste et surtout joyeux très joyeux. Il est entouré d’une équipe, photographe, journaliste, coordonnateur. Son objectif : appuyer Renata pour qu’elle devienne la première Suédoise sur le toit du monde. Quant à lui, il ne sait pas s’il tentera de nouveau. Échange de sirop d’érable contre confiture de framboises.

 

23.04.99

Départ pour la seconde phase d’acclimatation, objectif: atteindre le camp III à 7 400m et y passer une nuit. Avant même que Prim notre cuisinier allume les réchauds, nous rejoignons Dorjee. Installé devant l’autel de pierres, il fait brûler des branches de genévrier et prie. Il lance du riz vers le ciel. Je constate que même les sherpas ont toujours une crainte profonde d’escalader les hautes montagnes. Le soleil éclaire la cascade de glace et j’aperçois deux petits points noirs au milieu des blocs de glaces. La lumière du matin est si magnifique que je m’installe avec mes crayons et mon calepin pour esquisser quelques croquis. Photos, vidéos et notes. Chwangba revient au camp de base, il est parti monter de l’équipement au camp II. Il a rencontré Dorjee et Bernard en route vers le camp II, et tout semble bien se passer. Bernard est toujours le premier à quitter le camp de base, parce qu’il ne veut pas se retrouver dans la cascade en plein soleil, chaleur, danger d’avalanches et chutes de séracs. Aujourd’hui des immenses avalanches sont parvenues près du camp de base. Heureusement qu’elles sont d’une montagne voisine. Je n’arrive pas à m’habituer à ces grondements. C’est jour et nuit que j’entends ces chutes de pierres ou de neige. Pourvu que l’Everest retienne ses neiges…

 

26.04.99

Objectif atteint. Ils ont atteint le camp III hier et y ont passé la nuit. L’acclimatation au camp III est très importante et cela leur donne une bonne idée pour la suite. S’ils réussissent à s’assoupir et manger un petit peu ils sauront résister aux efforts indescriptibles qui les attendent. Ils sont de retour au camp II. Bernard m’a raconté tous les détails de cette ascension par walkie talkie. Sa tente est installée 100m plus haut qu’en 97 soit 7 400m. Ainsi il est plus près des fameuses bandes jaunes (rochers de couleur jaunâtre) qu’il aura à escalader lors de sa tentative sommitale. Il m’a raconté qu’il avait atteint le camp II en 6 heures 30 directement du camp de base et que Goran Krop le surnommait : « Canadian Train » celui qui n’arrête jamais!!! Il me semble si confiant, si déterminé, si heureux d’être seul avec Dorjee. Jusque-là tout se passe bien. Son acclimatation est très bonne même excellente. Il m’a raconté que Dorjee lui a proposé de passer la nuit au camp III, ce qu’aucun sherpa n’accepte de faire. Ils ont mangé, mais très peu. Du vent, des fortes rafales, mais rien de plus. Par contre, ils ont une belle vue de la partie supérieure de l’Everest et là, ça souffle toujours avec une puissance inimaginable. Encore trop tôt dans la saison pour qu’un alpiniste puisse rêver de faire le sommet. On espère que le courant jet (jet stream) se pousse vers le nord pour qu’ils puissent tenter vers le 10 ou le 15 mai. À la fin mai, il est déjà trop tard. La mousson laissera de fortes épaisseurs de neige en montagne.

 

27.04.99

Je les attends au pied de la cascade de glace. Je m’installe sur un rocher et j’essaie de les reconnaître au loin parmi d’autres alpinistes. J’apporte toujours avec moi la caméra vidéo et l’appareil photo ainsi que du jus froid pour Bernard et du thé chaud pour Dorjee. J’aimerais tellement avoir une vue sur cette vallée du silence entre le camp I et le camp II face au Lohtse. D’ici, du camp de base on n’aperçoit même pas le camp I. Une immense épaule de l’Everest coupe même la vue de la pyramide sommitale. Il faudrait marcher pendant des heures pour arriver à observer l’ensemble de l’itinéraire et je me retrouverais trop loin pour intervenir au cas où…

Toutefois, le camp de base offre un panorama à couper le souffle. Je profite des lumières matinales pour m’émerveiller. En début d’après-midi, lorsque le soleil plombe je me permets une sieste… prolongée!!! J’arrive à dormir profondément, les 5400m ne m’affectent plus beaucoup. J’adore la rusticité de l’endroit, l’ambiance. Je m’y sens bien. Il y a seulement une petite ombre au tableau, les toilettes… Pour me laver, j’ai résolu la question. Prime le cuisinier me prépare une large bassine d’eau chaude que j’apporte dans ma tente. J’y suis confortable. Bernard m’a toujours dit qu’une grande tente au camp de base améliore le quotidien. Il a bien raison, j’arrive même à m’y tenir debout.

Ça y est, je les aperçois; OUF! Chaque traversée de cette cascade de glace m’angoisse.

 

29.04.99

Deuxième jour de repos au camp de base. Dorjee fait sa lessive, Bernard et moi faisons un inventaire de l’équipement, puisque maintenant il y a du matériel aux camps I, II,III. Une fine logistique s’impose. Tout doit être prêt pour une tentative du sommet. Le camp de base est devenu fébrile. Beaucoup d’énervements. Nous ne sommes même pas en mai et ça discute du sommet. Certains disent que la fenêtre de beau temps s’ouvrirait plus tôt cette année et que dans quelques jours, les conditions pourraient devenir favorables… Certains alpinistes ayant plus de difficulté avec leur acclimatation deviennent pessimistes, car il n’ont toujours pas atteint le camp III. Ça court d’une tente à l’autre, les ordinateurs sont tous branchés pour connaître les prévisions météo. Bernard, lui, reste calme. Je ne le reconnais pas, lui qui habituellement cause à tout le monde… Assis, il observe la montagne, ses nuages, comme s’il l’écoutait. Il est aucunement préoccupé des stratégies qui sont mises en place par les autres grimpeurs. Je sais qu’il veut atteindre le sommet, qu’il le désire plus que tout mais je suis surprise et heureuse de son attitude… Yves (Laforêt) lui avait dit de concentrer son énergie… Je crois qu’il a compris!

 

30.04.99

Oui, ils sont repartis. Dès 4h30, Bernard, Dorjee et Chwangba ont quitté le camp de base. Hier soir, après maintes consultations auprès des équipes et sherpas, la décision de tenter le sommet fut prise. On s’attendait tous à 8 jours minimum de repos, mais la météo semble devenir favorable. C’est osé, mais ils sont prêts pour cette tentative. Seulement 2 jours de repos entre la deuxième phase d’acclimatation et l’assaut final me semble peu. Je souhaite ardemment que Bernard se soit reposé suffisamment. Ce matin, Dorjee m’a rappelé plusieurs fois que je devrai faire brûler du genévrier durant toute la nuit de l’ascension vers le sommet. Avant de quitter, Bernard m’a serré très fort dans ses bras. Quelques larmes. Il m’a promis d’être prudent et de garder toujours en tête que réussir signifie: atteindre le sommet et de revenir vivant. Ils ont chaussé leurs crampons et rapidement je les ai perdus de vue dans ce labyrinthe glacé.

 

2.05.99

Ils ont atteint le camp III. 7 400m. Une courte communication car nous ménageons les batteries du walkie talkie. Bernard me décrit la météo, le froid, le souffle court, la perte d’appétit et surtout la détermination qui l’habite. Demain tout sera nouveau puisqu’en 97 c’est là, au camp III que les tempêtes les ont repoussés à deux reprises. Goran, Renata et son équipe sont tentés sur la même plate-forme. Ils arrivèrent plusieurs heures plus tard. Bernard fut très rapide. Cela me rassure. En haute montagne la vitesse est un élément clé.

 

3.05.99

Le camp IV est atteint, 8 000m. Courte conversation. Tout va bien. Il m’a dit que l’ascension des bandes jaunes et de l’éperon des Genevois fût beaucoup plus difficile qu’il ne le croyait. Il a tenu à me décrire la vue qu’il a sur le Nupste. Il vente toujours sur l’arrête sommitale. Je l’encourage à boire et d’essayer de se détendre puisque dans quelques heures, ils devront repartir, en pleine nuit, cette fois vers le sommet.

22h. Je communique avec eux pour les aviser que les plus récentes prévisions météo signalent une augmentation des vents et qu’il faut abandonner l’idée d’une tentative cette nuit. Il me dit qu’il avait déjà chaussé les bottes… J’insiste, j’insiste. Je lui demande de me rappeler dans 30 minutes.

22h30. Ils ne partent pas. Les différentes expéditions présentes au col Sud ainsi que les sherpas ont décidé de ne pas bouger. Je l’ai senti très très déçu. Je lui souhaite bonne nuit en sachant qu’il ne dormira pas un instant. N’oublie pas de boire.

 

4.05.99

6h du matin. Je lui ai parlé. Nuit atroce sans sommeil, tout comme la mienne. Plusieurs équipes se préparent pour redescendre. Ils estiment que le temps ne s’améliorera pas. Quant à Bernard ils ont décidé de rester pour une tentative la nuit prochaine. Même décision pour Goran et Renata, pour certains américains, mexicains, anglais…

À 8 000m, il y a si peu d’oxygène que les alpinistes ont souvent beaucoup de difficulté à demeurer clairs et précis dans leurs propos. Bernard me semble cohérent. J’en étais certaine, j’ai confiance. Je lui conseille de sortir de la tente, de marcher un peu. On doit se rappeler à 19h.

19h. Il a marché le col Sud et m’a dit s’être rendu au Tibet! Le col semble être un endroit désolé. Moitié cailloux, moitié neige. Le vent se calme. Décision à 22h.

22h05. Ils tentent le sommet. Bernard se prépare. Dorjee et Chwangba sont déjà à l’extérieur à préparer les régulateurs et bouteilles d’oxygène. Bernard me rappelle que Dorjee insiste pour que toute la nuit, il y ait un feu de genévrier. Je lui répète bonne chance, prudence, je t’aime.

 

5.05.99           

Toute la nuit, le walkie talkie à la main je marche entre ma tente et la tente cuisine. Prim est resté éveillé. Les réchauds ont fonctionné toute la nuit. Notre ami Iniaki (célèbre grimpeur Basque) me rejoint. Il m’encourage et me répète que Bernard réussira. Il m’offre de m’accompagner dans cette attente interminable. Il court vers d’autres campements et me rapporte des nouvelles. Tout semble bien aller même si la progression est très lente due au fait qu’ils sont les toutes premières équipes à tenter cette année et qu’ils doivent installer les cordes fixes à plusieurs endroits.

Ils sont au balcon, 8 500m. Le soleil est levé tout est OK. Le genévrier brûle et j’avale café sur café. Partout au camp de base les gens sont attroupés autour des walkie talkie. Tous attendent. Je suis certaine qu’il réussira.

Ils ont atteint le sommet Sud , 8 700m. Iniaki me dit: « Tu vois ils y sont presque ». Il croit peut-être que j’ignore l’itinéraire. Du sommet Sud il y a cette arête très étroite et ventée et le fameux ressaut Hillary, 8 mètres d’ascension verticale sur du rocher. Un obstacle devant lequel plusieurs grimpeurs ont fait demi-tour. Je sais que cette partie d’ascension est excessivement dangereuse. Certains cadavres y sont toujours. J’ai confiance à l’expérience de Bernard. Avec Dorjee, il est confiant. Quant à Chwangba, c’est sa première tentative vers le sommet. Que c’est long d’attendre, où sont-ils?

Mon walkie talkie se met à grésiller, c’est Dorjee, j’entends « Nathalie, Nathalie, SUMMIT, SUMMIT, SUMMIT » Hourra, Iniaki saute, crie, me serre dans ses bras. Chez l’équipe de Goran, même explosion de joie. Ils ont dû atteindre le sommet ensemble. Je porte mon regard vers les nuages. Je suis essoufflée de joie, mon cœur est tout là haut. Il est 12h10.

12h50. Il annonce la descente. J’ai encore peur. Je sais que descendre est encore plus dangereux. 13 heures d’ascension, ils sont épuisés et leur réussite pourrait les distraire. La plupart des tragédies surviennent à la descente. Tant qu’ils n’auront pas atteint le camp IV, je resterai nerveuse et inquiète. Encore 6 heures à serrer dans mes mains le walkie talkie, à sursauter au moindre grésillement qu’il émet. Plusieurs alpinistes viennent à nos tentes pour nous féliciter. Bernard, Dorjee et quelques autres alpinistes, sont les premiers cette année a toucher le sommet.

18h00. Camp IV. Enfin, là je peux savourer la victoire. Bernard me dit qu’il est heureux. Il tentera de se reposer, même entassés à trois dans leur tente. Je rejoins ma tente et m’écroule dans un sommeil profond.

 

7.05.99

Iniaki, son amie Rachel et moi sommes assis sur un rocher au pied de la cascade de glace. Nous les attendons. Je n’ai qu’une hâte, qu’il quitte le glacier. Ce n’est pas parce qu’ils ont atteint le sommet que les crevasses sont plus étroites et moins dangereuses. Échelles, avalanches, chutes de séracs… tout peut arriver. Ils mettent beaucoup plus de temps cette fois. Ils sont certainement exténués. Le jus est froid, le thé est chaud, il ne manque qu’eux.

Ils apparaissent au détour d’un sérac. Ils avancent lentement, leurs pas sont chancelants. Ils approchent. Ils sont là. Ils ont réussis.

 

10.05.99

Tout est emballé, les yaks sont chargés, la tente cuisine est démontée. L’endroit redevient qu’un tas de cailloux. Les fêtes, les bravos, les accolades se sont succédés depuis leur retour du sommet. Plusieurs alpinistes n’ayant pas atteint le sommet viennent chercher des conseils et encouragements. Atteindre le sommet au début de mai, c’est rapide. On nous observe plier bagage avec envie et une touche avouée de jalousie. Goran, Renata et leur équipe emboîtent le pas, nous partons ensemble. Trop fatigué, Bernard promet de me raconter tous les détails de sa réussite pendant le trek. J’ai hâte mais mon bonheur est centré sur leur réussite. Notre stratégie a bel et bien fonctionné. Aucune blessure, aucun anicroche… une expédition parfaite. Pour Dorjee, c’est son quatrième succès à l’Everest. De plus en plus considéré par tous, comme l’un des meilleurs sherpas. Bernard a maigri. Il entrevoit le trek de retour avec un peu d’inquiétude. Son souffle est court et rapide, mais il est si heureux. À tous les vingt pas il se retourne pour revoir le camp de base, pour scruter du regard la cascade de glace et surveiller les avalanches. Plusieurs amis tenteront, à leur tour, dans les jours ou semaines prochaines. Il est encore arrêté, il regarde encore l’Everest, il y est encore.

 

13.05.99

L’hélicoptère se pose enfin. Nous l’attendions hier. L’équipe de Goran et la notre avons nolisé le vol qui doit nous conduire directement de Syangboche à Katmandou. Les rhododendrons sont en fleurs, ça sent la verdure et la tempête semble souffler vers l’Everest.

 

17.05.99

Après des jours de négociations, de fax, de téléphones, de rendez-vous, nous obtenons enfin le visa de Dorjee.

 

20.05.99 – DORVAL.

Les portes s’ouvrent, parents et amis sont là. Dorjee sort aussitôt d’une longue boîte, 3 colliers de fleurs véritables comme il y a deux mois de cela.

Écrit par Bernard Voyer et Nathalie Tremblay, du 22.03.1999 au 20.05.1999