DU PÔLE SUD AU PLATEAU MONT-ROYAL

Sylvain Blanchard

Le Devoir - 22 mars 1996

Bernard Voyer parle d'hiver comme on parle d'amour

Depuis un mois et demi, Bernard Voyer dort dans un lit chaud avec sa blonde. Fini le froid. Il est revenu du pôle Sud épuisé et savoure maintenant l'arrivée du printemps en regardant par la fenêtre les branches du parc Lafontaine.

À sa descente de l'avion qui le ramenait au pays, il s'était promis de dormir, de beaucoup dormir. Puis de s'asseoir et d'écrire, avant de raconter sa fabuleuse randonnée. Il en est là.

Il est encore un peu fatigué, mais il est heureux. Satisfait de ce qu'il a fait, mais surtout comblé par l'accueil que lui a réservé le public. Dans la rue, on le reconnaît et on le félicite. Certains le montrent du doigt, d'autres, plus impressionnés, restent bouche bée. Son égo est désormais nourri au diesel et si plusieurs l'admirent en silence, d'autres lui demandent carrément son autographe.

À l'épicerie et au restaurant, tout est maintenant plus long. On l'arrête et on le questionne. Malgré les dizaines d'entrevues qu'il a données, on veut encore savoir s'il s'est découragé en Antarctique, ce qu'il a mangé là-bas, s'il s'est engueulé avec son compagnon, Thierry Pétry...

Lui répète: 1500 kilomètres de marche, 63 jours d'expédition, des températures de -40°C, des vents de 100km/h...

En public, Voyer parle toujours de l'aspect humain de sa traversée. Très peu du reste. Même chose en entrevue, où sciemment il banalise tout le volet technique et physique de l'expédition. Comme si cela n'avait aucun intérêt.

Des heures durant, il peut discuter des pensées qui l'ont habité au pôle, de la grandeur de l'Antarctique, de la force, morale surtout, nécessaire pour éviter d'y laisser sa peau. "Un jeune de 20 ans ne reviendrait jamais de là vivant, dit-il. Il n'aurait pas assez de souvenirs pour meubler ses pensées. Car la clé, c'est de savoir se motiver"

Parler de son entraînement et de la préparation technique de l'expédition – qui a pourtant duré trois ans – très peu pour lui. "C'est une affaire de cœur, ce voyage-là". En lui tordant le bras, on apprend que lui et son compagnon Thierry Pétry ont mangé du canard, du veau et des crevettes en Antarctique, gracieuseté de Petit Extra, un restaurant de la rue Ontario qui tenait mordicus à apporter sa contribution à l'expédition. On apprend aussi que toute leur nourriture avait été lyophilisée (séché à froid) grâce à un procédé extrêmement sophistiqué développé par une petite entreprise de Lachine, appelé Lyosan, et que tous les menus avaient été soigneusement analysés et préparés par le Centre d'innovation technologique et agroalimentaire de Saint-Hyacinthe, afin que les deux hommes absorbent 6000 calories par jour, dont la moitié en gras.

Depuis son retour, les écoles et les chambres de commerce se bousculent pour demander à Voyer de donner des conférences sur la motivation – il en donnera une bientôt pour le bénéfice d'un groupe de travailleurs spécialisés dans les aliments... surgelés!

Son compagnon de voyage, Thierry Pétry, est de retour à Gaspé, où il a recommencé à pratiquer la médecine. Sa main, noircie par le froid, va mieux; il ne la perdra pas. Bernard lui, patauge dans ses boîtes sur le Plateau Mont-Royal. Sa blonde lui a trouvé un nouvel appartement, début février, et depuis son retour, les deux mettent de l'ordre dans leurs affaires.

Voyer n'a pas vraiment eu le temps de souffler depuis qu'il est revenu. Coups de téléphone aux fabricants de vêtements qui l'ont habillé pour l'expédition, rapports sur le matériel utilisé, rencontres avec les commanditaires et les amis, préparation de son film et de la série de conférences qu'il doit donner ce printemps, il respire encore par le nez mais court après son air.

Il s'ennuie du pôle, il en rêve même. "Ça, c'est quand j'arrive à dormir", dit-il. Son sommeil est agité et il se réveille parfois en chaleur, la nuit, peu habitué encore à dormir sans manteau et les lumières fermées – en Antarctique, la lumière est omniprésente.

Il s'ennuie du froid et de la neige, mais surtout du vent une passion qu'il nourrit cependant tous les week-ends en se rendant à Knowlton, où il a une maison de campagne. À peine le temps d'ouvrir la porte, il installe son fauteuil le plus confortable devant la grande fenêtre du salon puis regarde droit devant tout ce qui bouge. Des heures durant. Les lumières fermées et une bouteille de vin tout près. "J'observe et j'écoute. Le plaisir qu'il y a à entendre le vent siffler, à le regarder pousser la neige... c'est féerique. Une sorte de ballet. Bientôt, je vais installer un micro à l'extérieur et le relier à mon système de son pour mieux l'écouter".

Selon sa force et sa direction, le vent sculpte la neige (il y en a encore à Knowlton) et la déplace en créant des ombres et des lumières. C'est ça qui le fascine.

"Chaque jour, la chorégraphie est différente, mais toujours l'ambiance est saisissante. Je regarde les cristaux se soulever, j 'étudie leur consistance, leur forme, c'est fabuleux".

Lorsqu'il fait froid, sa blonde, pour lui faire plaisir, a l'habitude de prendre le volant lors de leur retour à Montréal. Et une fois au-dessus du pont Champlain, Voyer baisse sa vitre pour regarder en bas. "Il regarde la glace, dit-elle, il la regarde bouger. Heureux comme un enfant".

Le froid, c'est sa passion; la Floride, un test pour ses nerfs. Et c'est pourquoi, prochainement, il se mettra à travailler à la conception d'un musée de l'hiver, ici à Montréal. Comment la glace se fendille-t-elle? Pourquoi dans un sens plutôt qu'un autre? Pourquoi un flocon a-t-il toujours six pointes et non pas quatre, cinq ou sept? À quelle altitude la neige se forme-t-elle ? Pourquoi à Tadoussac la glace est-t-elle différente de celle qui se forme dans la région de Montréal?

"Parler de l'hiver comme d'autres chantent l'amour, voilà ce que je veux essayer de faire".

Actuellement, Bernard est à fignoler le texte qui accompagnera les images filmées lors de son expédition. Dix heures de bandes vidéo qu'il va ramener à 60 minutes afin que le public comprenne bien ce que signifie traverser l'Antarctique. "Rien à voir avec un trip de masochistes, vous allez voir".

Entre autres, il racontera au public qu'une semaine avant le départ, il a reçu un coup de téléphone du responsable du terminus Voyageur à Québec pour l'informer qu'il ne pourrait pas transporter ses deux traîneaux à Montréal.

Comment ça?

"Vos traîneaux dépassent de deux pouces la largeur permise dans la convention collective des chauffeurs".

"Ça rentre pas?"

"Ça rentre, l'informe le responsable, mais le chauffer refuse de les mettre dans la soute à bagages."

Après avoir crié un bon coup, Bernard s'est finalement fait livrer ses deux traîneaux, mais trois jours plus tard, deux jours avant de partir pour l'Antarctique, le téléphone a sonné à nouveau. Cette fois, les douanes canadiennes, à Mirabel, l'informaient qu'un colis suspect, reçu à son intention, venait tout juste d'être retourné à son expéditeur, en Europe, parce que jugé dangereux. Le colis en question était une boîte dans laquelle se trouvaient... les piles d'alimentation de son téléphone satellite.

Panique, stress, nervosité, c'est de cette façon que sa grande expédition s'est mise en branle. Et c'est de cette façon aussi que toutes ses grandes expéditions ont commencé. Il racontera tout cela bientôt, quand tout le monde applaudira la fin de l'hiver sur les terrasses de la rue St-Denis.

 

 

LE FROID DANS LE CŒUR

27 février 1996

 Etienne Leblanc

 

Antarctique. Le dernier continent à l’envers de la Terre, le bout du monde le plus loin du monde, le plus au sud de notre imagination, immense trou blanc ride, frappe par les vents, le paradis du froid.

Antarctique, basculée par la force de gravité, et moi basculé par la gravité du moment. Un grand moment frissonnant. Il y a longtemps que je voulais rencontrer Bernard Voyer, cet aventurier de carrière qui a son bureau chez le froid. Mais il était toujours à droite et à gauche, toujours plus au nord, sur l'île d'Ellesmere ou sur la Terre de Baffin, au pôle Nord magnétique ou sur la calotte glaciaire du Groenland, chez son voisin préfèré, le froid. Bernard Voyer arrive d'une expédition en Antarctique, au terme de laquelle il a franchi le point le plus méridional de la planète, le pôle Sud. Je lui ai donné un petit coup de téléphone, et malgré l'épuisement, il m'a reçu. Chaleureusement, il va sans dire.

Plus maigre d'une douzaine de kilos, brûlé par les rayons du soleil polaire, Voyer est visiblement fatigué. Malgré tout, il a cette envie inéluctable de raconter. Et tant mieux pour nous, parce que Bernard Voyer est un raconteur. "Le périple vers le pôle Sud est certainement le plus long voyage que j'ai fait de toute ma vie. C'est un trip de plein air, mais c'est surtout un long séjour à l'intérieur de soi-même. J'ai peut-être traversé la moitié de l'Antarctique en ski, mais j'ai surtout traversé ma vie!" Ses yeux bleus et scintillants comme la glace, plongés dans les nôtres, nous donnent l'impression d'être là-bas. De sa voix rauque, profonde et rassurante, il m'a raconte son rêve deux heures durant. Son rêve aujourd'hui devenu réalité. Mille cinq cents kilomètres à ski et à pied, affrontant des vents dont il ne soupçonnait ni la puissance ni la froideur, tirant une charge de 170kg, pendant 65 jours à -35°C. Mais surtout, l'extrême du froid, le bout du monde, l'horizon inaccessible. Parce que pour Bernard Voyer, le rêve c'est là qu'il se trouve. "J'ai souvent l'impression que les gens voient l'exploit dans le fait de surmonter tous les obstacles techniques qu'amènent un tel périple. Ils sont impressionnés par ce que je mange, par comment je me protège du froid ou par comment je fais pour aller aux toilettes à -40°C. Je respecte beaucoup ces préoccupations. Mais ce qu'ils oublient, c'est tout ce qu'il y a avant le voyage: la profondeur d'un rêve, les prises de décision et la préparation. Il faut non seulement décider de partir pour réaliser un rêve, mais pour ça, il faut envisager de peut être y rester. C'est une décision déchirante à prendre, aussi difficile que celle qui doit être prise quand le pilote de l'avion te laisse sur la banquise de l'Antarctique et te dit "Tu l'as vu l'Antarctique là, envoye, rembarque, tu vas mourir!"

"Toutes ces décisions drainent beaucoup d'énergie. Il faut partir en laissant le monde confortable, pour aller à l'endroit le plus inhospitalier de la planète, l'endroit où il n'y a aucune vie, où il n'y aura pas d'oiseaux, pas de plantes; un endroit ou si je m'assois et j'attends un peu, je meurs; un endroit ou il m'est interdit d'arrêter, où les vents sont les plus forts de la planète. En fait, le meilleur endroit pour échouer. Ces prises de décision sont une très grande partie de l'expédition. C'est probablement dans ces moments-là que l'aventurier retrouve ses plus grandes tempêtes!"

Mais une fois ces décisions prises, il faut effectivement partir. Et partir, dans ce cas-ci, ça veut dire aller traverser le plus grand désert de glace au monde. Il faut l'entendre quand il raconte l'ultime moment du vrai départ: "Quand le petit avion atterri sur la banquise pour te déposer, il repart très vite. Pendant quelques minutes, tu entends le moteur s'éloigner, de moins en moins fort. Puis, à un moment donné, plus rien. Le vide total. Le silence du froid qui te dit bienvenue. J'avais déjà vécu cette expérience à plusieurs reprises, dans le Nord. Mais j'ai quand même eu la chienne, comme la première fois. Ce jour-là, j'ai compris que l'expérience ne servait à rien. Dans une vie intense, tout est toujours à recommencer. Je trouve ça tripant!"

La sagesse de ce grand fou du froid étonne. Je m'attendais à rencontrer un bum de la nature, qui a traversé quatre fois la Terre de Baffin, qui a descendu toutes les rivières à la limite du navigable, qui a traversé les Rocheuses et marché le désert du Sahara, qui a tout vu, tout vécu. Mais son humiliation transpire de son admiration pour les contrées polaires.

"Ma présentation a été motivée principalement par deux éléments essentiels, me dit-il. D'une part, je voulais que cette préparation soit à la hauteur de mon rêve : grande et profonde. D'autre part, je trouve que l'Antarctique mérite qu'on se prépare adéquatement avant de fouler son sol. L'Antarctique, c'est le dernier morceau ou l'humain n'a pas encore fait de connerie. C'est le seul endroit écologiquement parfait, et cela suscite un respect sans borne. Je le ressens très intensément quand je monte ma tente sur deux kilomètres de glace, et que cette glace est la plus vieille du monde. Elle est d'une propreté inconnue. Elle a tellement de secrets... J'ai toujours aimé l'hiver, le vent, le froid. En Antarctique, je suis allé chez eux, chez le froid. Je ne l'ai pas emprunté une journée dans une station de ski ou ailleurs, je suis allé chez lui, dans sa maison!"

Bernard Voyer a tiré sa maison pendant deux mois, sur une côte de plus en plus ascendante au fur et à mesure qu'il avançait. La force des choses l'a épris d'un instinct de survie. Le vent glacial, la neige aussi abrasive que du papier sable, l'extrême fatigue, l'ennui, le découragement, le danger omniprésent de se faire engloutir par une crevasse, la fin du parcours qui semble s'éloigner. Devant tant d'obstacles, on se demande d'où provient la motivation de l'explorateur. Ses yeux brillants expliquent tout ça en quelques secondes: "La première journée, nous (lui et son compagnon de voyage, Thierry Petry) avons skié 3,5km. Quand tu penses à ça, faut pas que tu saches diviser 1 500km par 3,5... Ca peut être assez décourageant! Mais je me disais que chaque petit pas qui était fait n'était plus à faire. J'avançais, en pensant aux gens que j'aime, en me disant que si je voulais les revoir, ça se passait en avant de mes spatules. J'en suis même venu à les jalouser, parce qu'elles allaient arriver avant moi au pôle Sud! Tout en avançant, j'ai rêvé, j'ai fait le tour du monde cent fois, j'ai construit les plus grands châteaux à ma blonde, j'ai senti des fleurs, j'ai planté des milliers d'arbres, j'ai rénové ma maison, j'ai pensé à mon pré, à mon fils, à ma blonde, à l'Antarctique qui m'avait accueilli à bras ouverts. Je me disais qu'atteindre le pôle Sud ce n'était pas plus compliqué que de participer à une chasse au trésor. Quand j'étais plus jeune, le trésor se trouvait dans une petite boite de métal, sous un arbre. Aujourd'hui, le trésor se trouve dans une petite tige de métal, au sud du Sud, mais dans le fond c'est la même chose. Le désir d'aventure est le même. J'aurais presqu'envie de te dire qu'atteindre le pôle Sud, c'est un jeu d'enfant... J'ai eu mal partout, j'ai eu envie de rester là à force d'épuisement, mais j'ai continue, pour le rêve. J'espère aujourd'hui que la trace laissée par mes skis a été effacée par le vent, pour qu'il redonne à l'Antarctique sa pureté. Après cette aventure, jamais je n'irai plus loin que là-bas."

L'entrevue s'est terminée comme elle avait commencé, par une chaleureuse poignée de main. Celle-ci m'a fait comprendre qu'en se traversant aussi intensément, Bernard Voyer avait compris bien des choses, et que malgré notre entretien, jamais il ne pourra expliquer vraiment ce qu'il a ressenti là-bas. Ce voyage lui appartient, comme le sang qui lui coule dans les veines. Bernard Voyer a laissé une parcelle de sa vie chez le froid. Aujourd'hui, ce froid est planté dans son cœur. Monsieur l'aventurier, au nom du rêve, merci."

 

 

LE FROID J'AIME ÇA

Étienne Denis

 

Bernard Voyer aime la neige, la glace et le froid. Ses vacances, il le prend... au pôle Nord ! Avec deux amis Français, Bernard a été le premier à traverser l’île d’Ellesmere, un périple de 1000km. Ils ont fait cette expédition non pas en motoneige ni en traîneau à chien mais en skis de fond. L’île d’Ellesmere, c’est la terre la plus au nord de la planète. Là-bas, il n’y a ni motel ni restaurant. Bernard transporte sa tente, son sac de couchage et sa nourriture dans un traîneau: une charge de 145 kilogrammes!

Se rendre au pôle Nord en skis de fond, c’est comme passer tout l’hiver à travailler dans la neige, sans jamais entrer à l’intérieur, même pour dormir. C’est aussi affronter les pires tempêtes de neige, à –40°C. Avec l’effet du vent, on ressent parfois un froid de –70°C. Jamais on ne subit un tel froid dans nos régions.

Pendant une expédition, Bernard se lave avec de la neige (Brrr!); il soupe et dort dans sa tente... sans chaufferette. Le matin, il s’habille et déjeune au froid, puis repart. C’est comme ça tous les jours.

L’ennemi numéro 1: l’humidité

Les explorateurs possèdent deux sortes de vêtements. Quand ils font du ski et bougent, ils portent leurs "vêtements d’action". Cet habillement comporte plusieurs épaisseurs. Les explorateurs peuvent donc se déshabiller ou se rhabiller à mesure qu’ils avancent pour n’avoir ni chaud ni froid. Quand ils ne bougent plus, ils portent leurs "vêtements d’arrêt". Il est interdit de transpirer dans ces vêtements très chauds.

Pourquoi? Dans un tel froid, le linge mouillé ne sèche pas, il prend vite en glace.

Pour ne pas alourdir sa charge, Bernard n’apporte pas d’habits de rechange. S’il mouille ses vêtements, il devra les porter jusqu’à la fin de l’expédition ! Il risque alors d’avoir très froid et il peut même en mourir. Une expédition au pôle Nord, c’est dangereux!

Quand il fait du ski de fond, notre aventurier s’arrange donc pour transpirer le moins possible. Mais même s’il fait très attention, l’humidité s’accumule un peu partout. L’air qu’il expire contient beaucoup d’humidité. Regarde la vapeur qui sort de ta bouche quand il fait froid!

Durant la nuit, Bernard et ses compères produisent aussi beaucoup de buée dans leur tente. Cette vapeur retombe sous forme de "neige" sur les sacs de couchage. Au lever, les campeurs doivent brosser ce givre pour ne pas qu’il fonde. Le matin, ils peuvent ainsi ramasser plus de deux litres de givre dans la tente!

Les brosses sont donc des instruments indispensables pour les explorateurs polaires. S’ils enlevaient la neige avec leurs mains bien chaudes, elle fondrait et l’eau pénétrerait dans les tissus.

Malgré tous ces efforts, la toile de la tente, les sacs de couchage et les vêtements deviennent de plus en plus mouillés... et prennent en glace! C’est l’enfer.

En plus du pôle Nord, Bernard Voyer a voyagé à skis dans le nord du Canada et en Sibérie. Au printemps prochain, il veut traverser le Groenland. Mais son grand rêve, c’est se rendre au pôle Sud en traversant l’Antarctique en skis de fond et ce, sans aucune aide extérieure. Il partira en novembre 1995, avec son ami Jean Castonguay. Si tout va bien, ils arriveront au pôle Sud en janvier 1996. Sais-tu qu’il y a moins de gens qui ont réussi cet exploit que de gens qui ont marché... sur la Lune !

...mais il ne faut pas exagérer !

Au printemps de l’an dernier, Bernard Voyer emmenait un groupe de sept Français en skis de fond au pôle Nord magnétique (l’endroit vers lequel les aiguilles des boussoles pointent) Après six jours d’expédition, quatre personnes ont été ramenées d’urgence en hélicoptère. Que s’est-il passé?

Les doigts, les orteils, le nez, les oreilles et les joues sont très sensibles au froid. Les quatre amis de Bernard n’ont pas été assez prudents. Ils ne portaient pas toujours leurs gants ou leurs mitaines. En effet, quand ils préparaient leurs repas ou montaient la tente, ils préféraient travailler les mains nues. Ils avaient froid aux mains, mais ils disaient: " Ça va passer". Ils se sont ainsi gelé les doigts!

Comment cela est-il arrivé? Leurs mains sont d’abord devenues rouges. C’est un signal d’alarme. La couleur rouge vient du surplus de sang que le corps envoie dans la main pour la réchauffer. Ce sang circule dans les minuscules vaisseaux sanguins de la peau. Mais quand il fait trop froid, ou quand la main est laissée au froid trop longtemps, les vaisseaux sanguins se contractent. Le sang a de plus en plus de difficulté à circuler. Éventuellement, la main ne reçoit plus assez de sang pour être réchauffée. Elle se refroidit encore plus.

La main devient alors engourdie. On sent moins bien les objets qu’on touche, mais surtout, on sent moins bien le froid. C’est justement parce qu’ils ne sentaient plus le froid que les amis de Bernard continuaient à préparer leurs repas sans mettre de gants.

Plus la peau continue à se refroidir, plus elle devient blanche, dure et raide. Bref, elle gèle. Pourtant, une engelure ne fait pas mal. Rappelle-toi : la peau qui gèle est engourdie. Mais attention quand ça va dégeler ! Ça pique, ça élance... Ouille!

Comme une brûlure.

Si la peau n’est pas gelée en profondeur, ce n’est pas très grave. Après quelques heures, ça ne fait plus mal. Mais il arrive parfois qu’un doigt, une main ou un pied gèle au complet. De la glace peut alors se former dans les cellules de la peau, ce qui les endommage beaucoup. De plus, quand le sang arrête de circuler, les cellules sont privées d’oxygène et meurent graduellement.

En dégelant, des cloques peuvent se former, la peau devient violette et enfle énormément. Les cloques sont de petites poches d’eau qui se forment sur la peau. Tu en as peut-être déjà eu après t’être brûlé. En fait, une engelure ressemble un peu à une brûlure. Dans les deux cas, une température extrême a brûlé la peau.

Quand on est brûlé par le froid, il faut se faire traiter par un médecin compétent. Ça prend de mois à guérir. C’est ce qui est arrivé aux amis de Bernard. Mais cela aurait pu être pire. Si leur exposition au gel avait duré plus longtemps, ils auraient dû se faire amputer.

Il n’est pas nécessaire d’aller au pôle Nord pour se geler les doigts ! Cela peut arriver en jouant dehors un après-midi, près de chez toi. Voici quelques conseils pour éviter les engelures. 1. Habille-toi assez chaudement : un bon manteau, une tuque, des mitaines, de bonnes bottes. 2. Protège-toi du vent: le vent refroidit très vite la peau. 3. Reste au sec: quand la peau ou les vêtements sont mouillés, ils se refroidissent beaucoup plus vite.

Attention: il ne faut jamais frotter la peau gelée avec de la neige. Cela la fera geler encore plus!

La plupart des repas sont constitués d’aliments déshydratés (séchage à chaud) et lyophilisés, auxquels on ajoute de la neige fondue. La lyophilisation et une technique de séchage à froid mise au point par la NASA pour les astronautes. Le café et un produit lyophilisé) Cela ne prend pas beaucoup de place, c’est très léger à transporter et surtout facile et rapide à préparer.

Dans l’Arctique, il n’y a pas d’arbres. Il faut donc que la tente soit tendue et attachée très solidement afin de résister aux grands vents. Pour la plaquer au sol, on dépose de la neige sur le tissu (le double toit) qui dépasse de la tente et on la tape.

Les explorateurs se lavent régulièrement... dans la neige. Comme il fait trop froid pour que la neige fonde, ils l’utilisent plutôt comme abrasif. Cette neige agit ainsi un peu comme du papier sablé! Tu comprendras que les explorateurs se nettoient très rapidement. Si la neige fond un peu sur leur corps, ils doivent se laisser sécher par le vent.